Oh pop pop, Alain Gibert !
2ème album pour Alain Gibert, après son Sublime ordinaire paru en 2015. Son titre ne vous éclairera pas particulièrement sur son contenu. Car, pour poétique qu’il soit, Canyon alibi n’évoque pas grand-chose (il s’agit en réalité d’un bout de vers tiré de la chanson Alibi). Par contre, regardez attentivement la pochette. Le jeu sur les couleurs (l’orange du jus de carotte du verre à l’avant-plan, qui se prolonge par celui de la chemise du chanteur et s’achève dans le dessin du canyon accroché au mur), la composition « ligne claire » de la photo (la diagonale formée par la jambe de l’artiste), le décor à la fois épuré et élégant… Autant d’éléments qui annoncent que nous allons probablement pénétrer dans un univers empreint de classe et de légèreté, de créativité ordonnancée et de rigueur fantaisiste. Du Wes Anderson musical.
On parle de cinéma ? Guère étonnant, tant l’ambiance de certaines chansons évoque le grand écran. Ne serait-ce que l’introduction du morceau d’ouverture (Les portraits qui s’ennuient), avec ses cordes nous plongeant directement dans un univers cinématographique. Ou par les titres de quelques chansons, éminemment connotés : Opération Topaze, Le Casse du siècle, L’amour est un duel… Sans oublier les ambiances country qui parsèment le disque (comme dans Le meilleur pour la fin), à même de nous faire voyager dans les grands espaces en cinémascope, ceux du Grand Canyon, précisément.
Mais bien évidemment, on devrait avant tout parler de pop music ! Comme tant d’autres artistes, Alain Gibert semble en effet avoir comme quête ultime la chanson pop parfaite. Celle qui aura su assimiler les Beatles et Polnareff, Elvis Costello et Françoise Hardy. Celle qui nous dit des choses profondes sans en avoir l’air et des choses légères en l’assumant. A l’instar de ses Baigneuses (peut-être le plus beau titre de l’album), si inconséquentes dans leur insouciance (Et si c’était une fable/On les dirait coupables/Mais ce n’est qu’une pop song). Telle Lio, qui vantait déjà jadis le charme des femmes « si belles et inutiles ».
Le résultat de ses recherches s’avère plus que probant. Alain Gibert, peu enclin à nous décrire son nombril, nous livre onze chansons narratives aux sujets variés et finement écrites : un jeu érotique dans une galerie de portraits, le dilemme existentiel d’une jeune mariée ou d’un cadre d’entreprise, la rencontre inattendue de Tristan et Juliette, malgré les siècles qui les séparent, le retour au pays d’un expatrié du Cambodge, le départ pour la terre promise (La terre de tes ancêtres, sur le sionisme, sujet rarement abordé en chanson)… S’il fallait un bémol, on regretterait juste l’absence d’audace dans la construction des morceaux (9 chansons sur les 11 sont bâties sur le sempiternel schéma couplets-refrain).
Les ambiances musicales – soulignons l’excellent travail de son complice Fred Lafage – sont à l’avenant, mêlant les cordes à l’orgue ou le piano jazzy au banjo primesautier, en passant par la pedal steel guitare, le mellotron et les percussions, avec ce qu’il faut de chœur pour mériter le label « pop ». Avec mention spéciale au rif de guitare de son Opération Topaze, qui nous scotche l’oreille immédiatement.
Canyon alibi est un bel album de pop à la française. Pas d’une modernité renversante (n’espérez aucun passage en rap, ni aucun sample), s’inscrivant plutôt dans la droite ligne de Chamfort, Hugo ou J.P. Nataf (tête pensante des Innocents, auxquels on pense souvent). Bref, de ces artistes qui ont façonné la pop dans les années 90. Mais c’est un disque fait avec cœur, talent et sincérité. Et quand, en morceau caché, après un blanc d’une minute suivant le 11ème titre, l’artiste nous chante un couplet inédit de sa chanson Après quoi tu cours ?, comment ne pas y voir un autoportrait minimaliste : Toutes les fois où plonge le soleil dans la mer/Où le ciel choisit d’autres couleurs qu’hier/Quand je ne prends même pas le temps d’un détour/Je me demande parfois : après quoi tu cours ? A-t-il a trouvé une réponse définitive à ce questionnement ? Allez savoir. Une chose est sûre cependant : sa voie dans la chanson n’est pas usurpée.
Alain Gibert, Canyon alibi, Martingale/L’Autre distribution 2018. Le site d’Alain Gibert, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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