Syrano, lutter pour faire vivre ses rêves.
Syrano, 7 avril 2018 MJC de Venelles,
Sur la scène vide de la MJC, un clavier, un ordi sur sa malle à roulettes, un accordéon posé à terre devant les fauteuils rouges. Syrano, sweet à capuche, jeans et baskets et Patrick Neulat son musicien, seuls avec les cercles de la lumière pour nous assurer le spectacle. Mais quel spectacle !
La scène baroque auxquels sont habitués les spectateurs du Grand Pestac ou les décors des vidéos sont bien dans la tête ( et les mains) de Syrano… Et dans nos yeux , dès que le chanteur, Sylvain Adeline de son vrai nom, lance le concert avec L’apprenti sorcier, sorte de rap gothique d’anticipation maléfique :« Le monde est à moi (…) L’homme est infirme alors je l’aide un peu ». Qui parle ? Dieu, qui fait des essais sur des cobayes humains, ou ceux qui se prennent pour lui, les puissants se croyant les maîtres du monde ?
Le temps de se présenter et de nous mettre à l’aise, l’illusion d’une douce chanson d’amour au vent de l’accordéon disparaît vite dans la réalité ordinaire de La fin des contes de fée : « Mais aujourdh’ui le Prince / Il fume des cônes / Il fait du tuning »…
Les titres du dernier album, qui est une œuvre qui se suffit à elle-même, voir encadré, seront peu nombreux. On retrouvera La ballerine, ses petites notes de boîte à musique et son accordéon triste, symbole délicat des amours impossibles. Est-ce à cause de ses sœurs que Syrano saisit si bien la sensibilité féminine ?
Comme une bête, dénonce les camps de concentration ou de travail, dans un parlé chanté expressif. Les humains y prennent la place des animaux exploités, torturés dans les élevages industriels et les abattoirs. Et sur le livre disque leurs tortionnaires ont des têtes..d’animaux.
Matt l’automate mélange l’univers gothique de contes et l’absurdité du monde moderne, avec des grincements, des cris, des bruits intimement mêlé à l’accordéon qui représentent bien l’univers de cet album.
Sylvain a commencé dans une culture urbaine rap, qu’il n’a jamais abandonnée et qui lui a donné l’occasion de collaborer avec de nombreux autres artistes. Il s’est tout de suite distingué par la richesse et la profondeur de ses thèmes, les sans-papiers avec Origami, l’inceste, la drogue, l’anorexie avec Ficelle : « On l’appelle Ficelle celle au ventre noué / Celle qui flotte dans ses jeans et qui n’aura jamais de bouée ».
Cette déclinaison de tous ces Bleus, plus souvent ceux de la fatigue, de la peur, des coups et de la lassitude que celui du ciel : « Lèvres inertes et sans envies »
Son engagement humanitaire, ses ateliers d’insertion, ses spectacles pour le jeune public animent sa vie. Se traduisent dans ses textes par l’ humour et la dérision. Mais aussi une poésie, une perception aiguë des mots, de leurs sens, de leurs rencontres parfaitement originales. Un imaginaire qui se démarque du rap de base.
S’ils veulent des papiers, on leur enverra des origamis : « N’oublie pas : supplie pas / Car tout se plie, les lois aussi ».
Et « Pour que poussent des murs, fruits mûrs de la liberté » il en est un qui a choisi de Planter des cailloux…
Les quatre titres nouveaux, testés avec grands succès sur les cobayes de Venelles continuent à alterner au sein même des chansons un rap au flow impressionnant, riche en rythmes de mots qui font onomatopées et sens à la fois, et des mélodies souvent en refrain qui vous marquent aux oreilles. On passe de l’un à l’autre sans s’en apercevoir.
« Ils fumaient…pour calciner le temps / dans la brume pour noyer le vent » commence dans la poésie pour finir mal, dans une franche dénonciation sans illusions, a cappella et toute en émotion.
Les petites coupures jouent avec intelligence sur les deux sens blessures / billets dans une version plus pop et tout aussi efficace : « C’est la vie qui cicatrise lentement des petites coupures / en guise de pansement ».
Une autre prenante chanson se penche sur le problème de l’adoption et sa question essentielle : « Comment je fais pour m’enraciner/ Faire la paix avant de devenir père »
Il faut saluer la puissance émotive de ses mélodies et de leurs rythmes, le jeu expressif du visage, des mains et du corps qui s’apparente à la danse, et le travail impressionnant de Patrick Neulat qui jongle entre sons enregistrés et un accordéon habité. Un des instruments qui possède le plus d’âme et de rythme, vivant au gré de sa respiration. Inutile de vous dire que la salle n’est pas restée assise tout le long du concert, et que le public s’est démultiplié autant que les artistes. Garçon de joie, Syrano l’est mais au sens noble du terme, lui qui est passé saluer et presser sur son cœur un à un tout son public.
Nous aurons deux rappels, ce si beau conte d’amour glacé et brûlant, Monsieur Neige : « Ils s’envolent et se mêlent dans un nuage blanc / Il neige comme des cristaux / Des cristaux d’amour… / C’est beau ».
Et puis cette magnifique nouveauté, Ton parfum, qui évoque tous les souvenirs d’une vie à travers ses parfums, et celui unique de l’être aimé.
En concert avec Féloche le 20 avril 2018 au Printival de Pézenas, Festival Boby Lapointe. Le site de Syrano, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là.
La Ballerine
Tu m’appartiens
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