Le sombre monde de Pierre Margot
Treize titres dont l’écriture s’est étalée sur plus de vingt ans pour, au final, se voir offrir des mélodies pop-rock.
Pierre Margot est acteur. Et c’est bien en acteur qu’il interprète ce disque. En se faisant sans doute plaisir. Comme dans la chanson-titre, Les cyclamens, où il semble postuler pour l’après-Hallyday, la succession, non l’héritage. La tonalité est bien différente sur les autres titres : que voulez-vous : le comédien joue.
On appréciera l’humour de Margot et de son label pour le sticker rond et jaune qui orne la pochette de ce disque : « Chanson POP ROCK in french », c’est mis. Tout est dit, avec humour. Si ça peut faire que certains confrères englués dans le dérisoire air du temps accordent un peu plus d’attention à l’écoute d’un tel album, qu’ils se ressaisissent.
Margot n’est pas que chanteur et, s’il l’est, c’est par intermittence. Tant qu’il ne fait qu’un album tous les dix ans. Il est touche à tout, curieux de tout, amoureux de tout. Acteur, metteur en scène, musicien et metteur en scène… Une fois l’an les Parisiens plus curieux que d’autres assistent à ses Nuits de pleine lune.
Ici, si ce n’est un de Georges de Cagliari, tous les textes sont signés Margot, toutes les musiques aussi, si ce n’est une de Nathalie Miravette. Etalée sur deux décennies, l’inspiration est puisée de partout, prétexte à un jeu d’écriture. De partout dans ce qui est blessure, déchirure, handicap. Entre les catastrophes et l’inaccessibilité. Le monde qui se dégrade devant nous, impuissants. Ces trois marches qui empêchent le fauteuil roulant d’accéder aux magasins. Ces grands paquebots qui dégazent. Ces golden boy qui « dévorent le lit des rivières d’or ». Ces puissants qui vont faire la guerre, ces autres qui jettent les étrangers dans des charters, des containers : « Ça s’fait pas, c’est pas gentil / Et puis surtout, c’est pas poli ». Le monde que chante Margot n’est pas joli, est difficile : c’est le nôtre. « Et le nouveau monde / Lâche ses bombes / Sur l’ancien monde / Et me laisse un goût / Amer, immonde ». C’est dire si Margot, qui plus est dans la rugosité de son rock, ne fait pas dans la distraction. La seule excuse est qu’il chante notre monde avec finesse, avec talent. Et, comme jadis un bouffon, prend la posture du Joker, l’ennemi intime de Batman, pour remuer le couteau dans le play : « Je mets mon doigt dans l’beurre / J’me torche avec un missel / J’agite ma crécelle / Devant tout c’qui vous fait peur ». Il en rajoute, noircit plus encore le tableau, à escient. Sans doute, comme il le chante encore, pour être le Margart du Margot, comme Renaud a eu son Renard et Gainsbourg son Gainsbarre : « Tout pour la gloire et les dollars / T’as qu’à ranger ta conscience au placard ».
Pierre Margot, Kamaïeu – Les cyclamens, EPM/Universal 2018. Le site de Pierre Margot, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Pierre Margot, Camaïeu public
Voici, pour mémoire, l’article que j’avais jadis rédigé pour le Le Thou Chant (webzine disparu de la toile corps et biens, sans prévenir, sans sauvegarde possible), sur le disque de Pierre Margot, Kamaïeu public, sorti en 2010.
Cet album est, en son épure, pure séduction. Un piano, un cor, une voix, l’empreinte classique d’un acteur qui se prend de chanson, qui devient chanson. Théâtre ou chanson, ce sont mêmes planches. La différence est que Margot chanteur s’y expose par ses propres textes. Cet enregistrement public pourrait faite date si on s’en souciait, si on l’écoutait. Il y a de cette émotion qu’on a pu ressentir à l’écoute du premier Guidoni, il y a trente ans. Un artiste complet, avec une idée précise de son (nouvel) art. Margot ne ressemble en rien à ces comédiens qui se fendent d’un disque parce que ça se fait. Lui, auteur, compositeur et interprète a déjà son monde, fait d’enfances et de cruautés (magnifique et bouleversant Les Enfants du bonheur !), de miroir des amours passé, de rêves qui ont la vie dure… Il a pour lui talent et sincérité. Et déjà un répertoire qui vous prend les tripes, vous laisse pantois. « Kamaïeu de gris, kamaïeu d’or / Je chante avec la vie / Pour en finir avec la mort / Kamaïeu de gris, kamaïeu d’or / J’m’arrime à mes vers en or / Pour admirer la vie ».
Je réécoute l’album Les cyclamens de Pierre Margot et chaque fois sa richesse me surprend. D’extraordinaires tableaux musicaux, une voix caméléon qui irait de Daniel Darc à Arno, l’angoisse de notre monde en perdition enroulée dans une poésie bien de notre temps mais qui puise parfois chez Baudelaire, Gautier ou Mallarmé. Les titres les plus drôles ou les plus doux ne sont pas les moins décapants.
« La vie qu’on rêve, porte parfois / D’interminables gants de soie / Déposés là, sur le velours / D’un vieux sofa au petit jour » (La vie qu’on rêve)
https://www.youtube.com/watch?v=bU0k5X9c6TE
« C’est drôle/ Tout est si calme / Même le chagrin / S’est fait la malle / De mon refrain » (Les cyclamens)
« J’ornerai les cheveux de Mira d’une myrrhe d’osier et de grès très ancien » (Mira d’or)
« De Babylone à Bagdad poussent malgré le sable / D’étranges baobabs dans la lumière de l’hiver » (L’amérimonde)
« L’enfant qui veut voir la licorne / Derrière le mur de barbelés / A des yeux dont le ciel s’écorne / De rêves prêts à s’envoler » (La licorne et l’enfant)