Laurent Berger, chansons en maraude
Lui n’a pour crimes que de piquer ici et là des moments de vie, d’émotion, de faire les poches aux dictionnaires pour enrichir son larcin de mots. Puis de les finir en rime, leur offrant ainsi d’autres perspectives, un peu de notoriété, une poussière d’éternité. Un maraudeur recycleur : rien ne se perd, pas un vers, pas un pied, surtout pas l’alexandrin : « Est-ce de n’avoir plus ce même métronome / Qui rend belle l’ivresse dans le cœur des hommes… »
Laurent Berger a l’âme de qui est en maraude, en quête de corps, d’âmes, à qui il procure écoute et poésie : « J’ai mis ma radio au silence / Et mes balises par-dessus bord / La terre est encore loin je pense / Et encore loin le prochain port ». Il flâne, il muse, se vête de sérieux, se pare de fantaisie. « Je m’appelle fantaisie / Je suis né d’une envie / D’un péché de plaisir / De la loi du désir / De la chaleur des pores / Quand elle s’évapore… »
Berger n’est pas né de la dernière rosée. Au bout de déjà cinq albums, il y a œuvre dont on mesure la conséquence. Et l’attente, fébrile, de l’opus suivant. Sera-t-il mieux encore que les précédents, va-t-il encore fixer le temps, faire collecte de sentiments, oser ce que nous ne saurions sentir, dire, écrire, transcrire ? Nous sommes ici en dehors du déroulé de la vie, aucune actualité prégnante, aucun événement urgent ne vient troubler le poète. Si ce n’est l’écho « du cycle infernal / de l’usine infernale », de « ces chiens de faïence / dans leur ultime danse », « guerriers en sursis [qui] ont sué la nuit ». Si ce n’est le geste lent et mûr de la lousse sur le fil de l’eau du marais, sur cette peau « qui fait de ma bouche un palais / qui fait tout le sel de la vie / hardi, je serai paludier ». Deux échos ouvriers, l’un de bruit et de fureur, l’autre dans le silence d’une eau évaporée. Si ce n’est le souvenir du « peuple des chanteurs [qui] enterre l’un des siens » (c’était il y a presque dix ans, aux obsèques de Matthieu Côte). Si ce n’est ce cul posé sur la commode (« Ta commode est ainsi / Un précieux sanctuaire / Par vos fesses poli »)…
En ces chansons en mode voix/guitare/contrebasse (Michel Sanlaville à la contrebasse), dans ce timbre de voix qui lui est si particulier, unique, Berger, à sa manière qui n’a pas d’égale, fait douze chroniques, dont une prélevée à Dimey. Douze morceaux émerveillés, amicaux, amoureux, émus, curieux, empathiques. Tous touchants. La formule musicale retenue, inédite chez lui, est une vraie réussite. Dans vingt, dans cinquante ans, s’il existe encore des machines pour lire des CD, on s’étonnera qu’elle n’ait pas pris une ride. De quoi toujours animer, rythmer, colorer de pastel des textes déjà frappés d’intemporalité.
Laurent Berger, L’âme des maraudeurs, autoproduction Tohu-Bohu 2018. Le site de Laurent Berger, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Je viens seulement de lire votre article Michel, en allant sur le site de Laurent.
C’est vraiment très bien écrit, et je ressens les mêmes émotions, je suit son parcours depuis ses débuts, j’ai tous ses CD, et régulièrement, je m’envole avec lui.
Nouvel article sur Laurent Berger, en une très intéressante formule guitare-contrebasse avec Michel Sanlaville, d’ici à quelques jours sur NosEnchanteurs. Quand on aime on ne compte pas, Odile…