Sylvain GirO, homme de lettres
Les affranchies. Affranchir au sens de s’acquitter de la taxe postale, au sens de lettre oblitérée. Mais affranchir a d’autres sens et tous, peu ou prou, s’accordent dans la démarche épistolaire de Sylvain GirO. On s’affranchit aussi d’une lettre : « Je suis la lettre, je suis l’encre / Je suis le bois de ton papier / L’enveloppe de ton sang d’encre / Je suis ton oiseau messager ».
La lettre à Elyse, Les lettres, Lettre à France, Le déserteur, De la main gauche, Tu m’écris…, le genre épistolaire n’est pas étranger à la chanson, loin s’en faut. Là, Sylvain Giro a écrit des lettres pour tout un spectacle, tout un album. « Lettres intimes et poétiques, engagées et brûlantes, parfois drôles et absurdes. Et tisse un lien social entre toutes ces missives, pour mieux nous dévoiler en filigrane son écho de la France d’aujourd’hui ». « Je t’écris de la France / Où l’on ne vit qu’à pas lents / Où l’on meurt en rue sombre / Où l’on erre… » Ces correspondances ont la valeur d’autant de coupures de presse : reportages intimes, tranches de vies, d’actualité aussi. Ainsi ce jour du 17 octobre 1961 où la police du préfet Papon exécute des dizaines d’Algériens, à Paris : « A la première écluse, j’ai vu le front de l’éclusier / A la deuxième écluse, mes longs cheveux se sont défaits / A la troisième écluse, dans la Seine je me suis noyée ». C’est un réfugié qui jette à la mer une lettre en bouteille à sa compagne noyée, ce sont des femmes ouvrières qui élèvent seules leur enfant. C’est un simple citoyen qui, à la manière de Vian, interpelle notre président : « Je t’accuse d’être sourd / Face à notre souffrance / De jouer l’indifférence / D’avoir honte de nous / De vouloir du pays / Une image de cols blancs / De vainqueurs, de belles dents / De gens qui fassent envie / Et d’avoir en projet / Que nous soyons absents / Des journaux, des écrans / Invisibles rejets ». Là, c’est réchauffement climatique, pluies acides, disparition des espèces…
Par quelques lettres éparses, GirO fait cinglant réquisitoire, rare à ce point dans la chanson. Sachez qu’en préambule de chaque nouvelle scène, il lance un appel aux spectateurs de nouvelles missives, dont il chante certaines. Lettres après lettres, c’est implacable cahier de doléances d’un monde qui saigne et souffre : le nôtre.
Ici, à l’unisson des lettres et de leurs calligraphies, les instruments font élégante écriture ou inquiétante dramaturgie. Violoncelle et machines rivalisent de concert. Les sons sont ponctuations, autre typographie où les points sont des poings, où l’angoisse se note tant sur les noires que sur les blanches. Vous ai-je dit que ce disque-là est important ?
Sylvain GirO, Les affranchies, A la zim !/Coop Breizh 2018. Le site de Sylvain, GirO, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
(1) Respectivement d’Anne Sylvestre, Maxime Le Forestier, Michel Polnareff, Boris Vian, Danièle Messia et Isabelle Mayereau.
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