Avec le temps 2018. Fred Nevché, odyssée du temps présent
Fred Nevché, Décibel, Festival avec le Temps, Théâtre du Merlan, Marseille le 15 mars 2018,
Le décibel est une unité de puissance sonore, mesurant du bruit, du son, de la musique. J’ai envie d’y voir aussi une sorte de rébus, déci-bel, comme si l’on y disait de belles choses.
Difficile de définir Nevché : poète, slameur, musicien, producteur…De culture méditerranéenne et fasciné par le Québec… Viril et en quête aussi de féminité au-delà des genres…
Ce spectacle est à son image, à sa mesure, une grande messe de la vie, questionnant le monde, les gens. Un long poème, écrit entre Québec, Casablanca et Marseille, qui se dit et se chante, en un électro-rock très évocateur.
Il le clame, le murmure a cappella, s’interrompt en chantant, laisse le silence s’installer. Il se promène, marche, danse, joue de la guitare, des claviers. Martin Mey est au fond aux claviers, à droite nous retrouvons Gildas Etevenard aux batteries. La musique se crée devant nous, entre synthé, séquenceurs, sampleurs divers qui se mêlent aux instruments en un rock qui s’évade en nappes sonores planantes, trébuchantes et claquantes. L’électronique ainsi conduite joue un peu le rôle des orgues des églises, vous emportant vers des hauteurs sacrées. Mais la voix reste l’instrument prépondérant, parlée ou chantée, avec les chœurs des musiciens.
Les lumières de Luis Ferreira participent des atmosphères créées, en tâches et dessins au sol, en flots et rideaux de lumières presque palpables.
Nevché nous emmène dans un road movie sombre et urbain où règne l’angoisse et la peur, mais aussi des instants d’une douceur extrême, ouatée et consolante.
Comme dans un film les images défilent, corps moites se cherchant sur la chaleur des capots, zone, camion qui dérange…
La musique entretient l’anxiété. Les émotions se percutent sur une route de campagne, un désert américain ou afghan, dans un champ sous l’orage : « L’immédiateté du désir, la soudaineté des éclairs, l’envahissement de l’envie, la fougue, du déni », au bord de la mer.
Les chœurs légers soutiennent un léger pas de danse: « On vit sous la menace d’un monde qui finit » Et la voix lancinante et douce chante, répète, sur le piano « Quand reviendrai-je au port », dans une bataille folle de sons, de lumières à effets stroboscopiques.
La peur, les défaites de la pensée, « Et Dieu qui fout le bordel dedans » sont grand vent qui nous noie dans le brouillard de cataclysmes climatiques ou humains, la finance, la consommation, les drogues.
Les notes douces du piano, rythmées par la batterie, s’évadent : « Moi je rêve de Johnny souvent »
L’héroïne vous endort dans une douce sensation, comme « Une injection de foutre dans le sang ». La voix douce de Nevché est là pour évoquer les sentiments contradictoires qui agitent les humains dans un monde en perdition.« Je naviguais vers mon rêve(..) Je disais des poèmes, j’étais bien », avec le pouvoir évocatoire de ces chœurs soudain presque médiévaux.
Le voyage devient moderne Odyssée, au chant des sirènes de ses musiciens : « Quand reviendrai-je au port. (…) Pénélope, pour oublier le fil du temps tu clopes. Moi je bois ». Dans une ambiance envoûtante tournent en boucle les voix, entêtantes, assourdies, les légers T palatalisées, les ritournelles tourbillonnantes, étourdissantes : « Mes pollens, je les jette aux vent (…) Je ne te quitte pas, je ne reviendrai jamais ».
Des nappes sonores ponctuées de percussions reconstituent les ambiances enveloppantes du Besoin de la nuit.
« Si tu crois que je suis une femme ou bien un homme seulement tu fais fausse route » déferle sur des notes de piano très évocatrices, vites rejointes par des notes légères et vivaces. C’est ici que le rideau sombre et translucide de fond de scène coulisse, pour dévoiler en divine surprise tous les jeunes musicien.ne.s de L’Académie de Mandoline de Marseille. Ce bain de beauté et de douceur finit en montée orgasmique où toute la salle entre en vibration en applaudissant en rythme, avant le retour au calme en subtiles variations, entre ambiances musicales grecques et asiatiques.
Le final est le triomphe des deux classes du collège Longchamp, reprenant timidement d’abord, puis avec une fougue grandissante le leimotiv d’une évocation de l’Océan, puis le thème « Je rêve d’être Johnny souvent » en véritable apothéose, avant d’y faire participer le public..
Le rappel réunit a cappella les enfants comme les jeunes joueurs de mandoline : « Si tu crois qu’on finit tu te trompes / C’est le vent, c’est l’amour qui renaît »
Un instant de grâce dont ces jeunes tout comme leur public se souviendront toujours…
Le site de Nevché, c’est ici. Ce que Nosenchanteurs en a déjà dit, là.
Son album Valdevaqueros inspiré du Poème Décibel paraîtra à l’automne 2018
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