Guyom Touseul, architecte de ses chansons
Tout est soigné dans cet ouvrage : un digifile à trois volets, illustrés de fort belles compositions dessins/photos comme un collage (ceux du livret sont de Guyom (1) lui-même, touseul mais bien accompagné par les photos « écologiques » d’Anne-Claire Bertin). Des teintes sépias, pas seulement celles de la nostalgie, mais celle de cette terre qu’il vénère. Si j’insiste là-dessus, c’est parce que cela me semble bien refléter l’état d’esprit du chanteur tulliste parfaitement autonome (il dessine aussi ses affiches), parfaitement solidaire et remerciant tous ceux qui ont collaboré avec lui, pour des Chemins d’écriture (la Manufacture Chanson et Xavier Lacouture), pour une écoute, un conseil, un bon mot, une belle impression (La Gutemberg à Tulle), un instrument, des photos. Très heureuse de retrouver le nom de notre consœur de NosEnchanteurs Catherine Cour, pour celles de Prémilhat.
Rémi [Fraisse] n’est pas un réquisitoire. C’est un petit film où Guyom réalise à la première personne une sorte de documentaire qui suit pas à pas l’action, comme un dialogue, donnant tour à tour la parole au gendarme : « Je sers à vous faire peur(…) Et puis aussi on m’a donné des consignes de fermeté » puis à Rémi : « J’aime les fleurs, j’aime la vie (…) J’suis dans une manif pacifiste (…) Je m’élance comme une bombe / Soudain, je tombe ». Enfin à un commentateur absent de la scène, qui se pose des questions : « Depuis quand on doit se faire tuer, « mourir pour des idées » ? » Sur la guitare un peu rugueuse la voix court. On voit, on sent la fumée âcre qui obscurcit la scène… La guitare ralentit, la voix aussi, et ça tourne, ça tourne, tandis que la guitare déraille : « Je me retrouve alors dans un jardin d’ivresse / Dans mon poing une ogresse a griffé sa caresse / Insensible à ce froid qui peu à peu m’oppresse / Je me sens doucement rempli par la paresse ». Rémi a rejoint le dormeur du val de Rimbaud , qui dort dans le soleil, tranquille : « Mais pourquoi…mort / Et pourquoi pas l’Amour ? »
Guyom a l’art. De générer l’émotion, avec sa Lettre à un frère qu’il ne voit plus qu’en photo, ponctuée de quelques son de métallophone : « Je t’écris ces mots là / Que tu ne liras pas / Qui ne m’apaiseront pas ».
De l’humour aussi, quand il chante son aversion du foot, sur un petit air dansant au ukulele et des vocalises dignes d’un supporter. Pas dénué de réflexion : « Sur cet étrange phénomène / Qui fait que tout tourne autour / D’un ballon qui nous rend sourds ». Et le joyeux Yapa (« mais du travail : y’a pas, Y’a pas… ») est bien une contestation de l’aliénation au travail : « On est les mécréants de la croissance / On est les partisans d’la désobéissance ».
Guyom dit qu’il fait de la chanson impliquée et pas compliquée. Je ne suis pas d’accord avec lui sur le deuxième qualificatif ! Si ses mots sont simples, ils sont aussi plus efficaces que des pamphlets élaborés ( Ah la merveilleuse ballade au réfugié, à l’immigré, tout en espoir déçu, Les maux des mots). Plus poétiques que des chansons d’amour remplies de mots rares et de métaphores capillotractées, comme dit l’un de mes collègues. Ecoutez le doux et triste aveu d’On s’est loupés : « Je me sens sale de mes absences / Tu te sens seule dans tes silences ». Jolie mélodie où l’accordéon soutient les arpèges de guitare, en mélancolie espérante. Envolez-vous sur Elle a des ailes, qui m’a fait penser aux chansons d’amour les plus réussies de Gérard Morel, toute de sensuelle tendresse : « J’aime à la regarder en douce quand elle est nue / J’aime à la regarder aussi qu’elle est vêtue »
Encore un superbe album court qui égale en qualité bien des albums plus longs… original, tant par l’inspiration que par la mise en scène subtilement musicale. Avec peu de moyens : guitares, ukulélés, accordéon, métallophone sont tous joués par Guyom qui porte bien son épithète de Touseul !
(1) Guyom est diplômé d’architecture.
Guyom touseul, En vers et contre tout, autofinancé (2017)
Le site de Guyom, c’est ici.
Jeudi 29 mars 2018 Guyom sera à La Passerelle 2 à Paris avec JePh. On ne saurait trop vous recommander, amis enchantés, de vous précipiter sur un tel co-plateau.
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