Le monde irisé de Daphné
On connaît la célèbre formule de François Truffaut : « Le cinéma, c’est l’art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes ». Et si la chanson était « l’art de faire dire de jolies choses à de jolies voix (sur de jolies musiques de préférence) » ? En tout cas, cette définition collerait parfaitement à l’univers de l’artiste dont il sera question dans ces lignes.
Sixième album déjà pour Daphné. S’inscrivant dans la ronde des couleurs qui sert de fil rouge à chaque titre d’album, après le carmin, le bleu vénitien ou le fauve, il s’intitule Iris Extatis. Libre à chacun, en contemplant la superbe illustration de Pierre Mornet qui orne la pochette, de décider ce qui le plongera dans l’extase, de la belle femme ou des jolies fleurs qui y sont représentées…
L’album comprend onze chansons, écrites et composées par Daphné. Aux manettes, Edith Fambuena, réalisatrice dont le catalogue de collaborations ressemble au bottin mondain, et encore récemment derrière le Blitz d’Etienne Daho. Laquelle a donc mis son art – et sa voix le temps d’un duo au titre-manifeste On n’a pas fini de rêver – et son savoir-faire en pop délicate au service de l’imaginaire fécond de la chanteuse.
Telle une réminiscence; le morceau qui ouvre l’album, Song for Rêveurs, sonne d’ailleurs comme du Zazie, dont le dernier CD en date avait été produit par ladite Edith. Mais quelle plus belle manière d’inviter au voyage que ce premier vers : Tu prends un nuage comme on prend un taxi ?
Le nuage de Daphné est beau et riche. Il y fait bon s’embarquer pour une traversée d’un pays imaginaire, où les gens n’agissent pas comme on pourrait s’y attendre (doit-on voir un autoportrait de l’artiste dans son Faite à l’envers qu’elle magnifie de sa voix griffée : « J’avoue, je suis faite à l’envers / Comme une robe de travers / C’est pas la tête que j’ai en l’air » où la Lune est une femme africaine, et où l’amour « s’entend de loin / Comme le murmure d’un rêve qui nous revient ». Si l’onirisme est de mise dans cet univers, Daphné est aussi faite de chair et de sang et sait que, loin d’être un sentiment éthéré, l’amour se ressent avant tout physiquement (très beau Le corps est un voyant : « Le corps est un chat / Il veut tout de l’amour / Et me connait par cœur / Sans carte et sans tambour / Il bavarde avant l’heure »). Incursion dans le réel également avec Ultraviolet, un peu en décalage du reste du disque, où l’artiste chante la beauté de son pays tout en rageant sur ce qu’il a pu devenir (« Cela fait déjà longtemps / Que le bleu, le rouge, le blanc / N’est plus vraiment mon drapeau / Volé par un front de trop »).
L’atmosphère musicale est au diapason des textes. Pop sophistiquée et élégante, parsemée d’éclairs africains (Une prière aux étoiles) ou orientaux (Mahini Miranda), l’ensemble nous transporte dans le cocon ouaté de la douceur et du raffinement. A charge pour la chanson finale aux couleurs d’opérette italienne, Supercalifragilis (non, ce n’est pas une reprise de Mary Poppins !), de nous sortir de notre bien-être pour un délire maitrisé que Jacques Higelin ne renierait pas.
Dans le panel de la chanson française, Daphné occupe une place à part. Celle d’une artiste rêvant son propre monde, poétique et doux, aérien et mélancolique, abscons quelquefois, surprenant toujours. Qu’il est bon de s’y abandonner.
Daphné, Iris Extatis, at(h)ome 2017. Le facebook de Daphné, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
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