Lapointe au cœur
Dans les bacs depuis début octobre 2017 – okay, NosEnchanteurs n’ont pas vraiment été rapides sur la balle -, La Science du cœur est le 7ème album du québécois Pierre Lapointe. Artiste multi-récompensé dans la Belle Province, il reste chez nous confiné à un succès relativement confidentiel, ses chansons n’ayant pas encore pu se lover dans les oreilles du grand public. Ce nouvel opus sera-t-il l’occasion de combler ce déficit d’audience ? Le disque a en tout cas toutes les qualités requises pour trouver place dans la discothèque des amateurs éclairés de chanson française. De là à ce qu’il puisse se frayer un chemin auprès des radios et télévisions, sésames incontournables du succès populaire…
Mais est-ce vraiment le but de Pierre Lapointe ? Artiste pétri de talent, on le pressent assez hautain, détaché et sûr de lui. Le syndrome du premier de classe. Cette image qu’il dégage est peut-être totalement fausse (espérons-le…), mais avouons que les photos du livret, pour belles qu’elles soient, ne viennent pas la contredire. Et lorsqu’il y écrit « Ce disque a été conçu pour être écouté sans interruption. (…) Laissez de côté les réseaux sociaux et autres occupations et concentrez-vous sur ces quelques chansons durant les 37 prochaines minutes, vous en sortirez transformés. Je vous le promets », cette déclaration d’intention traduit-elle une belle ambition ou une prétention assumée ? Chacun jugera…
Une chose est toutefois certaine : La Science du cœur ne devrait laisser personne indifférent. Onze chansons le composent. Onze titres exigeants et pas forcément accessibles à la première écoute. Onze chansons frappantes, étonnantes, voire choquantes. Les mots sont parfois crus (« Tu repenses à tes amours, à tous ceux que tu as baisés / A quel point ils avaient l’air heureux d’avoir pu te consommer« ), les images gênantes (« Tu repenses à ta grand-mère, te dis qu’elle t’a vraiment aimé / Tu revois sa couche pleine venant tout juste de déborder »), les références branchées (« Tu sembles incarner le divin / Comme si David Hockney t’avait peint »). Mais derrière cette sophistication revendiquée, sorte de paravent dandy comme ultime et vain rempart, c’est un artiste entier qui s’offre à nous, avec retenue mais sans pudeur, nous laissant voir les béances de son âme et ses plaies à vif.
La Science du cœur s’ouvre par la chanson éponyme. Débutant par le dépouillement d’un chant a capella, l’orchestration ira en s’étoffant, pour finir dans un bouquet d’instruments, avec des cordes comme s’il en pleuvait. Magnifique crescendo pour un texte ciselé, longue litanie sans refrain sur le chagrin existentiel lié à la perte d’un amour. Superbe entrée en matière, rappelant le Jean Guidoni de la grande époque
Le cœur, il en sera encore question dans maintes chansons. Médecin de l’âme, cardiologue éclairé, Pierre Lapointe le visite sous tous ses aspects. Avec sa plume comme stéthoscope et son piano comme scanner, sans fioritures inutiles, il poussera l’analyse jusqu’à l’os. Passant du basique chagrin d’amour (Zopiclone) à la renaissance d’une relation qu’on croyait éteinte (Le retour d’un amour), du coup de foudre spontané (Prince charmant) au portrait désenchanté d’un hipster (Sais-tu vraiment qui tu es ?) ou au constat désespérant de notre humanité (Qu’il est honteux d’être humain)… Autant de belles chansons tristes (selon les propres mots du chanteur) à même de soigner les cicatrices de l’auditeur.
L’habillage des chansons mêle habilement musique pop et musique de film, avec un zeste d’électro (Alphabet). De beaux moyens pour un résultat haut de gamme. Le chant est certes un peu désincarné (la chaleur, ce n’est pas trop son truc…) mais la diction parfaite et son timbre froid collent parfaitement à l’univers aseptisé de l’artiste, en contraste constant avec le propos éminemment personnel développé.
L’album s’achève simplement sur un piano-voix impudique (Une lettre), missive envoyée à l’ancien être aimé : « Je t’écris cette chanson comme une lettre / Une carte postale que tu liras peut-être ». Nu, dépouillé de ses oripeaux musicaux, Pierre Lapointe nous livre sa douleur sans fard et sans sentimentalisme déplacé. Difficile de n’y être pas sensible et de ne pas se retrouver dans l’universalité du texte. Car si les amours du chanteur sont assurément masculines, les sentiments qu’il offre en partage, eux, n’ont pas de sexe.
Album brillant, moderne et sans concessions, parfait reflet de l’artiste, La science du cœur mérite une place dans le vôtre.
Pierre Lapointe, La science du cœur, 2017. Le facebook de Pierre Lapointe, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. La science du cœur
Son précédent album » Paris tristesse », porte bien son nom.
Et je l’ai écouté sans me lasser, je ne sais pas si j’en suis ressorti transformée, mais ce que je sais , c’est qu’il m’a beaucoup bouleversé.
J’espère qu’un jour il passera dans ma région, afin d’aller à son concert.