Morice Benin, dans l’escarcelle d’un instant
Et si, comme le chantait Ferrat, le poète avait toujours raison, « qui voit plus loin que l’horizon »…
« Quarante ans sont passés… quarante ans d’insomnie / A tenter d’réveiller le monde dans sa folie / Devant ces marchands avides, cyniques / Nous n’avions que notre foi de charbonnier lyrique… »
De partout, le monde court à sa perte. Vous ne trouverez plus personne de censé, sauf peut-être Trump, pour ne pas entrevoir un désastre en chaine à bientôt venir : il a largement débuté. Désastre humain, humanitaire, écologique, économique… Tous les indicateurs sont au rouge sang et on continue à faire semblant. Les poètes ont toujours raison. Parmi eux des artistes, ceux qui depuis des décennies s’époumonent à mettre les maux en musique, à dire notre avenir commun, à être chanteurs d’alerte. Hélas peu audibles quand tout organise leur silence, quand toutes les formes du pouvoir, médias inclus, les font se taire en substituant à leur chant une bouillie sonore inodore et incolore qui offre aux décideurs notre temps de cerveau disponible.
Lui, c’est Morice Benin. Médias et programmateurs l’ont oublié depuis des lustres, le reléguant avec condescendance à d’anciens et victorieux combats, Larzac et Plogoff, qui furent naguère ce que Notre-Dame des Landes et Sivens sont aujourd’hui. Les années ont défilé, le public est passé à d’autres artistes, autres esthétiques. Seule une bande d’irréductibles amateurs de chanson le savent et le suivent encore. Depuis cinq décennies il creuse son sillon sur disques et sur scène, questionne le monde en vers et presque contre tous. On le raille par principe, sans se donner la peine de l’écouter. On a tort.
L’œuvre de Benin est immense, sa discographie pléthorique : son nouvel album serait le 25e mais c’est alors sans compter ceux issus de diverses collections. Les années ont sculpté ses doutes, ruiné nombre de ses certitudes, mais pas affadi ni affaibli son chant. Ses rimes aiment à se chercher, à philosopher, faire la part des choses et celle de l’humain, à labourer les mots, y semer des idées, les voir pousser, grandir, fleurir. Un demi-siècle qu’il chante, en franc-tireur, en franc-chanteur. Sur son nouvel album, L’inespéré, il reprend un de ses premiers titres, Je vis (de 1974, chanson-titre d’un album alors vendu à plus de 100 000 exemplaires), dans une nouvelle version, comme un regard, un retour sur soi, un non-bilan qui en est tout de même un, un rien désabusé mais honnête : « Je vis, cette obsession tenace d’un rêve sans limite / Quand souffle l’oraison pour atteindre la cible / Je vis, ouvrant mon cœur nomade lancé à la dérive / Pour un soupçon d’amour perçu sur l’autre rive ».
Tout dans ce disque est constance dans les thèmes où, malgré les temps incertains, l’espoir tente de se frayer un chemin : « A qui servent les poètes ? / En temps d’angoisse, de déprime / A quoi bon cette quête ? / D’amour hissé vers la cime / A quoi servent les poètes ? ». Du Benin qui est comme les saisons, sans cesse recommencé, semblable et différent à la fois, régénéré. Et si on profitait de cet album pas si inespéré que ça pour renouer avec Morice Benin, de prendre des nouvelles, d’hier et de demain de ce « marin d’eau douce bravant la mer / apprenant l’art du mouvement / (risquant) cette joie éphémère / dans l’escarcelle d’un instant » ?
Morice Benin, L’inespéré, entre les lignes…, Fanal 2017. Le site de Morice Benin, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. En vidéo, la version originale (et complète) de l’album « Je vis » :
Un très grand souvenir de scène! Très heureuse de voir cet album sortir! Va t’il tourner? Ce serait émouvant de le revoir sur scène après toutes ces années…
Morice BENIN sera en concert à la galerie d’Art Contemporain de Villebois le dimanche 18 novembre 2018.
Nous vous invitons à nous rejoindre; sur réservation au 04/74/36/69/19.
Marianne et Patrice COLLECINI