Treize visions de Barbara
Sauvé dans Catherine Laugier, L'Équipe, Lancer de disque
Tags: Angélique Kidjo, Barbara, Dani, Daphné, Elodie Frégé, Jeanne Cherhal, Julie Fuchs, Juliette Armanet, Mélodie Gardot, Nolwen Leroy, Nouvelles, Olivia Ruiz, Virginie Ledoyen, Zazie
Bien sûr il y a ceux et celles qui ne supportent pas qu’un ou une autre chante Barbara. Ceux-là réécouteront avec profit la discographie de Barbara largement disponible.
Mais de la même façon qu’on joue toujours Sophocle, Shakespeare ou Molière, de même que les plus grands peintres déclinent à l’infini les chefs d’œuvre (amusez-vous à chercher les différentes versions de La liberté guidant le peuple ou du Déjeuner sur l’herbe), il faut que la chanson vive de sa propre vie, et d’autant plus qu’elle est grande.
Quelle émotion à l’écoute de ces treize femmes, célèbres ou moins médiatisées, qui ont osé enfreindre le grand interdit. On pourrait craindre un manque d’inspiration quand elles s’attaquent aux grands classiques, La solitude (Zazie), Nantes (Jeanne Cherhal), Göttingen (Julie Fuchs), Dis, quand reviendras–tu ? (Nolwen Leroy), Marienbad (Daphné) ou L’aigle noir (Juliette Armanet). Elles ont toutes choisi d’intérioriser la beauté, la douleur, celle que d’aucuns leur dénient : elles n’auraient pas assez souffert pour la chanter. Comme si un romancier ne pouvait écrire que des autobiographies.
Difficile de parler d’un disque multi-interprètes, souvent enregistrements hâtifs et sans concertation entre les artistes. Ici, la cohérence du disque tient sur les épaules de la directrice artistique Edith Fambuena pour un hommage entièrement féminin, fort et respectueux mais aussi vrai travail de re-création.
C’est Zazie qui ouvre le feu, serrant les dents, mâchant ses mots, la voix qui s’enroue et se noue autour de vous comme la solitude s’enroule autour de ses hanches, sur cette musique rock qui va si bien à Barbara, qui l’eut cru !
Sur Nantes il pleut, des gouttes aigues de piano, qui font des cercles qui se croisent et se rencontrent, des larmes de tendresse et ça monte pourtant en tension alors que la voix se fait berceuse, s’excuse, s’absente, se tait. Il est couché dessous les roses, et la pluie est douce. Et notre cœur chagrin, mais avec bonheur.
Croyiez-vous que Julie Fuchs chanterait Barbara telle Musetta dans la Bohème ? Non, elle a abandonné toutes les conventions du chant lyrique pour nous chanter Göttingen et ses enfants avec tendresse et simplicité. Parti pris opposé d’un Bossone, qui la joue à outrance, et finalement même émotion.
Il y a aussi les chansons qui voyagent et déconcertent (la musique n’y est presque pas reconnaissable), c’est cette formidable Si la photo est bonne. Presque parlée, scandée sur le fond tendu à craquer de cordes et de percussions par une Dani à la voix désincarnée et tendre à la fois, proche ici de celle de Brigitte Fontaine. Elle donne à cette étrange chanson de Barbara, entre humour noir et plaidoyer contre la peine de mort, la même tension que Le condamné à mort de Jean Genet chanté par Daho ou par Babx.
Le contraste est d’autant plus grand avec la béninoise Angélique Kidjo qui fait de ce Soleil noir un hymne à l’Afrique à cœur battant, une course effrénée, un feu d’artifice brûlant et désespérant où plus encore qu’à Barbara, on pense à Piaf. Sommet peut-être de l’album s’il en faut un, plus jazz que rock.
Barbara, on ne s’en étonnera pas, a inspiré presque toutes ses interprètes, donné de la maturité à Louane dont la voix touchante évoque de façon crédible une Enfance qu’elle vient à peine de quitter, et gardé la gouaille d’une Olivia Ruiz, Gueule de nuit pressée et taquine. Daphné (déjà interprète en 2012 de 13 titres de Barbara dans une version très –trop ?- respectueuse) se fait troublante magicienne. La comédienne Virginie Ledoyen abandonne vite le chant pour une version parlée de Cet enfant-là, et Elodie Frégé fait de Parce que je t’aime une chanson d’amour pop-électro mais profonde, au rythme entêtant.
La conclusion revient à Mélodie Gardot. Oubliée la chanteuse de jazz et de charme à la voix chaleureuse, la voici interprète d’un requiem sombre et troublant : « Ils auraient voulu qu’on les aime / Du temps, du temps de leur vivant… Ils n’entendent plus, c’est trop tard / Trop tard, trop tard… »
Un CD qui redonne toute sa noblesse, qu’il n’aurait pas dû quitter, au terme de Variétés.
Elles & Barbara, Universal 2017. La page facebook consacrée à Barbara, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a dit de Barbara et de ses repreneurs, c’est là.
Il n’y a pas de vidéo correspondant aux interprétations de cet album, c’est donc celle de Barbara dans « C’est trop tard » que nous partageons :
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