Ah nom d’Odieu !
14 octobre 2017, Théâtre Jardin Passion à Namur,
Didier Odieu, ça vous dit ? Bien qu’il se produise sur scène depuis les années 80, il reste en effet largement inconnu d’un trop grand nombre d’amateurs de chanson (ne parlons pas du grand public, pour lequel il ne fait aucun doute qu’il n’en a jamais entendu parler !).
Situons dès lors le personnage en piochant dans cette mine de savoir qu’est Wikipedia : « Didier Odieu (de son vrai nom Didier Kengen), né à Uccle en 1959, est un chanteur et compositeur belge à l’univers grinçant et sarcastique. Croisement de Jacques Brel et Johnny Rotten, il appartient à une catégorie d’interprètes à l’univers singulier, en marge des conventions, développant au fil des albums un style unique et révolutionnaire, à l’image de ses orchestrations décalées, inclassables, ou de textes mariant tendresse, surréalisme et ultra-violence… »
Esquisse lapidaire et assez juste. Quiconque l’a vu sur scène à ses débuts n’a pu que penser à Brel, par l’emphase, la démesure et l’impudeur d’écorché vif qu’il y déployait. La comparaison avec Johnny Rotten est également judicieuse, Odieu étant très certainement l’artiste le plus (auto) destructeur qu’il m’ait été donné de voir. Que ce soit le matériel scénique – il ne fait pas toujours bon d’être un piano tombant sous ses pattes – ou sa propre carrière, l’homme a la fâcheuse tendance à laisser ses démons punks prendre le dessus. Ce qui nous ramène à la suite de son portrait : « Odieu est une véritable bête de scène, un performer instinctif, dont les prestations scéniques s’oublient difficilement… Mais Odieu, personnage complexe, a joué depuis plus de 20 ans à cache-cache avec le succès et la reconnaissance populaire, préférant le charme des petites salles, des radios libres et des petits labels à la pression du métier de star. »
C’est dans un petit théâtre namurois que j’ai renoué avec l’artiste, que je n’avais plus vu sur scène depuis quelques années déjà. Il y faisait son grand retour pour deux soirs, dans la formule qui lui va le mieux (le piano-voix), pour y enregistrer son premier CD et DVD live. Bel endroit chaleureux et public composé de fidèles (la moyenne d’âge faisant foi…), tout était réuni pour une soirée mémorable.
Le fut-elle ? Hélas, pas autant que je l’aurais souhaité. Après une intro musicale sur le piano à queue qui rappelle ou démontre combien Odieu est un extraordinaire musicien (c’est quand même William Sheller qui l’a découvert et fait connaître : existe-t-il caution pianistique plus réputée ?), il a ouvert le bal par son Aimez-moi estampillé 1984. Il a enchaîné peu après avec son truculent Cynthia, morceau unique dans la chanson française puisque le refrain est constitué d’aboiements ! Les nostalgiques de ses débuts sont aux anges, ravis de retrouver tout ce qu’ils ont pu aimer chez l’artiste : la voix intacte, la virtuosité musicale, la provocation, le jeu scénique, l’humour surréaliste…
Malheureusement, force est d’admettre que la suite ne fut pas du même tonneau. Passons outre les hésitations et trous de mémoire, qui sont le lot du spectacle vivant. Le tour de chant aura en effet malheureusement été composé de trop de morceaux interchangeables, chansons d’amours défuntes qui voient le chanteur décliner sa peine encore et encore. Des chansons souvent bien écrites (Belle, ma bulle/A l’abri des cabales/De ces bandes maboules/Qui peuplent mes poubelles/Et me veulent du mal) mais manquant de cette force qui pousse à les retenir. On ne peut d’ailleurs que constater que le public se montre davantage enthousiaste lorsque la chanson interprétée est une re-création. Qu’il s’agisse de sa version acide du titre pro-alcool de Johnny La fille à qui je pense, sa touchante reprise de Fréhel La coco ou son hilarant Parole Parole de Dalida-Delon, chacun de ces titres, aux textes parfois simplistes mais efficaces, bénéficient de l’interprétation unique de l’artiste, qui les porte littéralement et en fait découvrir des aspects émouvants que nous ne soupçonnions pas forcément. Ah, pourquoi Odieu ne se lance-t-il pas dans un spectacle où il se contenterait de chanter les autres ? Son jeu au piano allié à sa puissance d’interprétation en ferait à coup sûr un moment de grâce.
Dans l’immédiat, Odieu était de retour pour deux soirs. J’étais heureux de le retrouver, comme on revoit un vieil ami perdu de vue. J’ai pu me rendre compte qu’il n’avait pas vraiment changé et que l’âge n’a en rien calmé ses ardeurs. Ceux qui l’aimaient l’apprécieront toujours, même si le plaisir lié à la surprise est passablement émoussé. Ceux qui le détestaient n’auront aucune raison de revoir leur jugement. Ceux qui ne le connaissent pas ne sont pas près de le découvrir, aucune ouverture de l’artiste n’étant perceptible. Comme on disait dans une vieille pub pour un bourbon : nothing changes really.
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