FCF Aix 2017. Mathieu Pirro, l’âpre pays qui est le sien
Festival de la chanson française , Le cagnard, Aix en Provence, 1er octobre 2017, sortie d’album,
Imaginez une grande bastide jaune dans la campagne Aixoise, non loin du Pont des Trois Sautets où se baignait Cézanne. Souvent sous les pins ce lieu béni accueille des concerts intimistes, comme si vous étiez reçus chez des amis. On y prend des apéritifs provençaux (pour les plus sobres, je vous recommande le sirop de gingembre ou le sirop de concombre-limonade), on y écoute l’artiste en plein-air assis autour de petites tables, et après le concert on vous retient à dîner autour de quelque plat mijoté des plus attrayants.
Au bout de la terrasse un dais blanc accueille les artistes et leurs instruments. Au centre, un magnifique piano à queue loué pour l’occasion. Mathieu Pirro, élégamment vêtu d’un costume bleu nuit, est accompagné du trompettiste Nicolas Boeri et d’un guitariste, que nous reconnaîtrons pour être Christian Vives, également programmé la veille au sein du Festival au Restaurant-Concert Le Panier Normand dans son propre répertoire. Ce dernier nous offrira sa chanson Gant de velours Cheval de fer de sa belle voix chaleureuse de rockeur folk.
Entre Brel, Ferré et les Beatles, ses références intimes, Mathieu Pirro, pour cet album chanté en intégralité, a clairement choisi Brel. Il en a l’expressivité, le visage qui se déforme sous l’émotion, l’intransigeance, la véhémence, cette aisance apparente qui cache des blessures. Sans jamais l’imiter, il vibre Brel, il est Brel. Un peu misanthrope, un peu misogyne bien que fasciné par les femmes qui lui paraissent cependant d’une autre planète , un peu en retrait, sombre sous la dérision. Sa voix a des envolées baroques, des frémissements. Pour paraphraser Brel, c’est quelqu’un qui a mal aux autres, qui a mal à lui-même aussi. S’il nous parle entre ses chansons, s’il fait de l’humour, c’est que sinon l’ambiance serait trop dure : « J’aime que mes chansons insultent / L’insulte faite à l’enfance / en nous comédie des adultes / en joue les mômes bonjour potence ».
Quand il nous raconte l’angoisse de ses débuts, vomissant comme Brel avant le spectacle, on sait que ce n’est pas par mimétisme voulu. Quand il nous dit « Tu ne t’appelles pas Jeff / Je ne suis pas Jacques Brel » dans cette Cruauté des roses sur l’abandon, on se doute qu’il l’a vécu aussi.
L’écriture est grave et belle, n’hésite pas à utiliser des néologismes poétiques : « Pour un dessin le prix du sang / Blasphaimez vous les uns les autres / puis après foutez moi l’athée / Comme le disait le pitre apôtre ». C’est la chanson titre qui a ouvert le concert, sur l’incompréhension entre les religions, les peuples, les sexes : « Non on n’a pas les mêmes goûts », ponctuée par l’harmonica dont il joue lui-même, encore dramatisé par ce voile de trompette douce.
Le thème obsédant du temps qui passe avec Je n’ai plus vingt ans : « On s’appelle on s’fait un naufrage » est décliné par les reprises de La quarantaine ou de Cet enfant que je fus.
Le message à la femme qu’il veut « Belle et puis intelligente / Mais dans cet ordre là » pourrait nous paraître phallocrate s’il ne concluait pas par cette chute habile « …et si intelligente / Que ça l’embellira ». On lui pardonnera donc sa légère misogynie, grâce à la dérision des Coquelets : « Pendant ce temps les coquelets / se vérifient la friandise / Ça leur prend tout le cervelet / Pour mener à bien l’entreprise » ou au beau portrait de la Bienfaitrice, Don Juan au féminin qui sur l’horizon fait bander les arcs en ciel.
En intermèdes une jolie mise en musique d’un texte d’Israël Horovitz – il en a joué plusieurs pièces en tant que comédien – et en rappel des succès très attendus de son répertoire.
Le site de Mathieu Pirro, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là. Pas encore de vidéo des titres de l’album, mais une chanson plus ancienne reprise à ce concert :
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