Nesles, la glace et le feu
Vous êtes vous déjà baigné dans une eau glacée ? Tellement froide qu’une sensation de brûlure intense vous parcourt la peau, vous lève le poil, enflamme vos vaisseaux ? Vous avez alors une idée de l’effet produit par cet album.
Un sentiment d’urgence lente vous prend à l’écoute de cette voix fiévreuse, tout autant que posée, qui vous intime : « Défais-toi, défais-toi de tes frusques, sous la brise, sous la lune (…) Avance à cru vers des étendues, avance à cru les muscles détendus ». De mots pris en leur sens réel plutôt que figuré naissent de belles images poétiques : « Et lâche la bride, même abattu ». La voix pressante, les murmures à bouche fermée, le violon expressionniste ajoutent à l’instance.
Nesles devient lynx blanc ondulant lentement, glissant ses griffes acérées silencieusement dans la neige feutrée des montagnes et vallées, ou des rives du Danube, sous des branches chargées de stalactites craquantes, se détachant parfois à son passage : « Ces pins ces rivières ces fleurs ces silex ces voies ces fougères toutes figées dans les cristaux ».Ses mots entêtants et ses maux consumants narrent ses solitudes, ses craintes – « ça me blesse quand ça me pèse suis-je bien normal ? » – et les Chardons de ses cauchemars : « J’écris aux esprits d’amis de parents partis occis » contre lesquels il cherche refuge. Des boucles électroniques tourbillonnent, insistantes, angoissantes, se combinent aux onomatopées insouciantes qui leur font la nique. Et l’esprit se repose sur l’orchestral Dors Sisyphe dont les accents répétitifs donnent une idée de l’éternité des interrogations humaines.
De Mes forêts, tout là-bas à douter du beau et du vrai, jusqu’aux sensuels Tes sentiers : « Je connais tes vallées tes échappées / tes collines gonflées / ta gorge chaude sucrée / tes ombelles à l’abri des treilles / j’en connais le carmin le parfum / je connais tes veines qui battent et palpitent / qui me font sentir si plein de vie », les feulements de sa voix ou de celle de ses choristes nous conduisent dans une messe cosmique « au son des cloches qui résonnent ».
Nesles, dandy glacé et distant, creuse encore les abysses de la sensualité dans Ton île, prison mortifère dont il rejette violemment la forfaiture : « en pâture aux démons cornus / Et de leurs lèvres charnues / je ferai mon plan b mon plan q ». Ou dans Le dur, les cailloux, tout en décalage, sur une mélodie et une voix dulcissimes, « dans le foutre et la rouille (…) notre souffle dans la neige et l’hiver nous glisse dessus ».
Onze titres, tous paroles et musique de Nesles, dont une majorité dépassent quatre minutes, mêlent intimement folk-rock, richesse des cordes, des claviers, des rythmes, et musique électro-onirique, pour mieux nous plonger dans une œuvre aussi poétique dans ses mots que dans ses notes.
Il faut découvrir la magie de ses aurores boréales, et s’envoler dans ses intimes et éblouissantes contrées, là où Meurt le chagrin, dans ce long instrumental, presque musique de film, qui clôture l’album.
Nesles, Permafrost, 2017. Le site de Nesles, c’est ici et c’est là.
Excellent ! Dès le début de la chanson on est pris par son rythme superbe bien servi par les instruments. Une ode à la forêt et à la nature qui sort des sentiers battus.