Namur 2017. Patrick Bruel : alors écoute !
Festival des Solidarités, Namur, 27 août 2017,
A quoi reconnaît-on une superstar de la chanson ? Une toute grosse vedette, de celles dont on attend la prestation dès le matin et qui a alimenté les conversations des derniers jours ? Un de ces artistes qu’on se promet d’aller applaudir si l’occasion nous en est donnée, même si on ne l’apprécie pas particulièrement, juste parce qu’il faut bien l’avoir vu une fois ? En vérité, ce qui caractérise de tels monuments, c’est l’électricité dans l’air qu’ils suscitent, étrange et rare mélange d’impatience, de ferveur et de curiosité !
Les Solidarités pouvaient donc être fières d’avoir pu convier sur ses terres namuroises un de ces chanteurs hors normes. Car, qu’on le veuille ou non, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Patrick Bruel est exceptionnel par la relation unique qu’il a pu instaurer avec son public. C’est qu’ils ne se bousculent pas au portillon, les artistes français qui engendrent de telles passions. Outre le bon vieux Johnny, il y a qui ? Goldman bien sûr, s’il se décidait à remonter sur scène, et Mylène Farmer. Vous en voyez d’autres ?
Alors mettez-vous dans l’ambiance. Les festivités débutent à 11 heures et la big vedette est programmée à 22 heures. Pourtant, dès le matin, la tension monte : l’animateur qui présente les concerts ne manque pas de décompter les heures qui nous séparent encore de l’événement, le noyau dur des fans, présent dès l’ouverture devant la scène principale, a l’impatience contagieuse, le public est en plus en plus compact, les artistes eux-mêmes y vont d’une petite remarque sur leur confrère… Bref, l’excitation est palpable et de plus en plus dense au fur et à mesure que la journée s’écoule. Alors, quand sonne l’heure fatidique et que les 20.000 personnes présentes dans la plaine noire de monde poussent un cri de joie à l’arrivée de la star, je mets au défi quiconque, même le plus blasé des spectateurs, de ne pas se laisser emporter par l’ambiance incroyable qui règne alors. Le mot populaire prend tout son sens en de telles circonstances.
Exceptionnel, le concert l’était également par l’absence d’actualité discographique de Patrick Bruel. Sa tournée Barbara est achevée depuis plus d’un an et aucun nouveau CD n’est encore annoncé. C’est donc une sorte de petit tour de chauffe qu’il s’est offert cet été, pour le simple plaisir de retrouver son public autour de ses vieilles chansons, et ce à cinq reprises uniquement (trois dates en France, une en Suisse et une en Belgique). Bruel et tous ses succès, c’était du gâteau, forcément !
L’artiste monte en scène revêtu d’une redingote rouge avec queue de pie, le chef coiffé d’un haut de forme, des lunettes noires sur le nez. Comme un Monsieur Loyal d’un cirque dont il serait l’unique attraction. Cinq musiciens l’entourent, pas de dispositif scénique particulier, si ce n’est un solide light-show. Un décor ou des projections ne seraient d’ailleurs guère utiles pour rehausser le spectacle, l’homme se débrouille bien tout seul. D’autant qu’il commence par un Alors regarde qui met directement le feu, enchaîné d’un J’m’attendais pas à toi et J‘te l’dis quand même. Trois premières chansons, trois tubes que le public entonne spontanément. Qui dit mieux ? Le reste sera à l’avenant, les énormes succès devenus des classiques (ben oui !) comme Place des grands hommes ou Qui a le droit ?, se mêlant à d’autres titres moins populaires mais tout aussi efficaces (Lâche-toi, C‘est la vie, Lequel de nous…), en passant par une jolie reprise country du Salut les amoureux de Joe Dassin, un mini-medley de ses premières oeuvres (Marre de cette nana, Comment ça va chez vous…) et un Amant de Saint-Jean qui fera valser l’assistance. Les rappels verront se succéder l’incontournable Casser la voix, la bossa-nova du Décalé et au final, une reprise en piano-voix de La Javanaise.
On peut certainement reprocher pas mal de choses à Bruel, en commençant par la qualité inégale de son répertoire. Mais il est impossible de lui dénier ses qualités d’artiste de scène. Faisant montre d’une générosité folle et d’un total respect pour son public, qui le suit dans ses envies sans qu’il ait besoin de l’y contraindre (qu’il tende son micro et c’est la foule toute entière qui chante d’une seule voix !), l’homme est chez lui sur scène. La sympathie immédiate qu’il dégage, le contact simple qu’il impose, l’absence totale de condescendance, autant de marques qui emportent l’adhésion.
Alors, bien sûr, cela peut manquer de finesse dans les arrangements, les textes sont parfois crispants de bons sentiments, l’interprétation du chanteur-comédien force l’émotion par moments… Mais qu’importe ! Le public – son public – est aux anges et entraîne dans son plaisir même les plus réticents des spectateurs. C’est comme le foot dans un stade plein comme un oeuf, alors ? Pareil ! Mais quand le match est bon, qui s’en plaindrait ?
Ravi de lire un tel papier sur NosEnchanteurs. Car NosEnchanteurs n’est pas particulièrement anti-Bruel. D’ailleurs NosEnchanteurs n’est anti-personne, et surtout pas anti Paul Personne. Nous n’avions simplement pas bien apprécié sa façon de s’accaparer Barbara et de la chanter, comme si la délicatesse lui était étrangère. Et la publicité éhontée donnée tant à son disque studio sur Barbara qu’à sa version en public. Le retrouver dans sinon son « œuvre » au moins son répertoire en propre est une bonne nouvelle. On peut ne pas l’aimer, certes, mais difficilement ne pas lui reconnaître un peu beaucoup de talent. Et un charisme dont les fans de Patriiiiiick ne se lassent pas. Rien qu’à ce titre, je suis sûr qu’il est un enchanteur.
« Vous en voyez d’autres ? » demande Pol De Groeve. Oui, Yves Jamait !
Je suis à chaque fois étonné de voir combien son public se mobilise et fait régulièrement plusieurs centaines de km pour aller le voir par monts et par vaux.
Mais aussi de voir que même là où une (grande) majorité de personnes ne le connait pas, pas en France mais ce fut le cas il y a quelques mois à Bruxelles, il ne faut guère que quelques minutes pour qu’ils soient conquis et repartent de la salle rythmant corps et voix les chansons qu’ils ont entendues.
A part quelques rares fans s’étant déplacés parfois de loin, le public comptait essentiellement des abonnés de la salle venus du simple fait de leur abonnement et sans connaître l’artiste. Deux heures 30 plus tard ils se promettaient de retourner le voir et je n’ai vu personne déçu.
Ca nous éloigne de Bruel ? Pas tant que ça… sauf qu’il n’y a pas de Jamaitmania radiophonique.
« Vous en voyez d’autres ? » demande Pol De Groeve. Oui, Yves Jamait !
Je recopie volontairement la 1ere phrase d’un commentaire précédent car c’est exactement ce que je pensais : qui d’autres ??? il a tellement d’artistes qui remplissent des salles …. que cette phrase m’a étonnée pour le moins !!! thiéfaine, les ogres de barbak, tryo …. julien clerc, aznavour, j’en passe tant et tant …
Oui, il y a beaucoup d’artistes qui remplissent les salles (et heureusement !). Mais mon propos ici était de souligner combien ils sont peu à pouvoir susciter une telle fièvre et une telle impatience, même auprès des gens qui a priori ne font pas partie de leur public. J’ai déjà vu des centaines de concerts (Jamait y compris, of course) mais rarement ressenti une ambiance électrique comme il y en avait pour Bruel. Ce n’est pas qu’une question d’attirer du monde : c’est le petit plus (le charisme porté à son pinacle, je suppose) qui fait la différence entre un chanteur populaire et une vraie idole.
D’accord, Bruel est un monument de la chanson, capable d’attirer 20000 personnes. Qu’on aime ou pas, c’est indéniable.
Mais cette « électricité », cet « étrange et rare mélange d’impatience, de ferveur et de curiosité » peuvent être tout autant suscités par des artistes qui ne réuniront jamais 20000 personnes, peut-être cent fois moins, dans des salles beaucoup plus modestes.
Souvenirs de concerts inoubliables avec Jacques Debronckart, Leny Escudero, Henri Tachan, Romain Didier, Jean-Pierre Réginal et, bien sûr, Allain Leprest, l’émotion en plus, l’agora en moins.
C’était au Théâtre Silvia Monfort, au Vingtième Théâtre, au Forum Léo Ferré ou dans quelque petite salle provinciale.
On peut être « emporté par la foule » ou préférer l’intimisme pour provoquer le même mélange des sentiments.
Bruel est devenu la caricature de lui-même.
Je trouve personnellement cela assez pathétique et triste.
D’autant que s’il est toujours dans la surenchère, il ne croit pas un mot de ce qu’il chante.
Mais ce qui est surprenant, c’est qu’il parvient tout de même à abuser (au moins sur ses compositions à lui). Sans doute en souvenir de la grande époque où il était un peu plus jeune, fringant et cohérent. On peut donc lui reconnaître des qualités durables d’illusionniste et de bonimenteur (et ça aide bien dans ce métier).
Le factice, la triche cependant ne marchent pas dès qu’il aborde un registre authentique comme l’était celui de Barbara.
Il a donc besoin régulièrement, pour se rassurer, de venir chanter en Belgique où il a son choeur de fans les plus irréductibles et cela depuis près de 30 ans. Ca aide à regonfler un égo surdimensionné un peu mis à mal par le manque de succès sur la tournée Barbara.
Au moins ainsi , il ne prend aucun risque…
A noter cependant qu’il donne de plus en plus dans le grotesque et la surenchère. Preuve que le système bien huilé arrive un peu en bout de course.
Et pour le paraphraser, je conclurai ainsi: « Et même si on fait tout pour cacher c’ qui se voit, on a beau essayer, on n’ trompe jamais que soi » (Rien à perdre, chanson sans doute la plus authentique qu’il ait jamais écrite et chantée)