Avignon Off 2017. Patrick Ingueneau, quand la musique s’étonne
« Rubato », 24 juillet 2017, Théâtre des vents à Avignon,
Il a une veste rose sur ses habits noirs. Le décor aussi est noir. Avec des lumières rouges. Comme il nous faut des références, j’ai pensé à Claude Nougaro. Bien qu’il vienne des Deux-Sèvres, il en a la carrure, la couleur méditerranéenne, le goût pour le jazz, la liberté. Mais pas l’articulation vocale. Pour sa façon de triturer les mots, on peut songer à Boby Lapointe (Mon mombre) et, pour la virtuosité des sons dits ou joués, à Bernard Lubat. D’ailleurs, rien que les titres de son album d’il y a deux ans évoquent un monde à la Boris Vian, où cire-godasses rime avec repasse-limaces : Mon mombre, Kraak (c’est aussi un spectacle) ou Orthefable.
Mais, bon, il est surtout unique. Patrick Ingueneau a une belle, très belle voix même. Il peut l’utiliser comme celle d’un crooner. La faire cascader comme un chanteur lyrique, lui imprimer les variations et les onomatopées d’un soliste de jazz. Ou même la pousser à l’extrême pour un effet comique. En musique, jouer a rubato [dérobé], c’est avancer certaines notes et en retarder d’autres sur une mélodie, ou un accompagnement, afin de marquer émotionnellement la musique. C’est prendre des libertés avec le rythme.
Il n’y a pas que la musique qui est a rubato. Les textes aussi. Comme lorsque vous laissez venir les idées, qu’elles se bousculent dans la tête, dans une grande intensité, une vélocité de neurones emballés. Ce doit être comme ça qu’on fait les découvertes qui changent le monde. Il y a l’Ombre qu’il se refuse à trimballer collée partout derrière lui. La musique qui « sonne au-dessus des toits », comme ces pierres sonnantes, les lithophones. La poésie « Je racle alors les dents sur des charbons ardents ». C’est beau, c’est beau, et ça plaît beaucoup à son amoureuse. C’est le moment qu’il choisira pour une hilarante reprise d’Aline, alternant séduction et hurlement.
Chanteur de charme ? Il l’est, forcément, puisqu’il nous charme. Humoriste ? Assurément. Et bien plus. Sa réflexion sur le monde, cette berceuse Enfant sage, si jolie si douce, s’avère dénonciation tragique : « Quand c’est qu’j’irais plus travailler / J’rumine depuis mon plus jeune âge / J’veux dire bosser comme un damné / J’ai même pas eu l’temps d’être au chômage ».
Beaucoup de ses chansons parlent d’amour, mais si l’émotion vous gagne, il aura vite fait de la casser dans des délires salvateurs, des cris à vous faire sursauter. Ne cherchez pas de couplets, de refrains, c’est la vie c’est tout, des moments de calme et de bonheur, de grands éclats de rire, des variations en anglais. « On s’aime… et toi… et moi.. et nous… together ». L’éternelle, pur chef d’œuvre de poésie est à cet égard exemplaire. Le rythme soudain s’accélère, bascule dans l’introspection, la crise n’est pas loin, le piano s’emballe, dissonne. Il l’enchaîne par ce lapointesque Choux fleur, avec de vraies trouvailles : « Je rêve d’un bain-marie noyé dans ton eau de vie ». On peut dire qu’il y dépasse le Nougaro qui aime les mains d’une femme dans la farine !
Il est même capable de se taire, ce comédien auteur compositeur interprète : il a été mime. Metteur en scène. Musicien : même s’il est principalement au piano (clavier ici), il s’accompagne aussi au ukulélé dans une hilarante satire de Bel canto. Ou joue de la main gauche du clavier et de la droite de cet ensemble de percussion minimaliste, grosse caisse/tom tout en philosophant : « Le cerveau déconfituré » ou en hurlant… Dans ce Théâtre des vents au mur d’accueil entièrement décoré de saxophones il doit jubiler : c’est son premier instrument, dont il nous exécutera un superbe solo.
Vous aimerez être délicieusement surpris par celui qui nous a dit : « Sous le goudron et les plumes je veux bien être le bouffon » et qui finit a cappella, dans l’aveu de sa révolution ratée : « Ma révolte sera pour après, pour l’instant je mange un boudoir »
Au Théâtre des Vents, 63 rue Guillaume-Puy à 12h30 jusqu’au 30 juillet. Le site de Patrick Ingueneau, c’est ici.
Eh bien oui : Patrick Ingueneau a du talent !
Et moi je le comparerais bien à Pascal Parisot, que j’aime beaucoup aussi.
Moi je l’ai décvouvert à Poitiers à la nuit des chanteurs seuls… C’était top, quelle liberté et quelles surprises sur ce piano – avec la complicité de Jérôme Rouger dans la salle, un régal !