FestiFaï 2017. Elsa Gally, Philippe Séranne : des mots et non des moindres
En ce lieu chargé de souvenirs, la Rotonde SNCF de Veynes détruite en 1971 sous les yeux et mains de ses constructeurs et tourné en scène de concert pour FestiFaï par Jean-Michel Pillone et René Dupré ; les voix d’Elsa Gelly et Philippe Séranne ont repeuplé, du vocal au vocable, pavés saillants et herbes folles de mots.
Elsa Gelly à nu
« Déshabillez-moi / déshabillez-moi / oui, mais pas tout de suite / pas trop vite / Sachez me convoiter » nous titille Elsa Gelly, robe bleue profond, barrettes à paillettes et chaussures qui brillent ; entre les pierres désossées de la Rotonde, deux fleurs des prés encadrant son fauteuil rouge. « Que l’on soit bien clairs, je ne me déshabille pas dans mon concert », précisait-elle quelques jours avant. On n’est pas trop déçus, car ce sont ses chansons que seule la voix habille : Elsa est a capella. Dans le spectacle de la création FestiFaï, elle s’excusait presque de n’être qu’interprète devant ses copains de scène. Et quelle interprète ! Oui, Elsa Gelly ne chante que des chansons écrites par d’autres. Des chansons qu’elle interprète au sens théâtral du terme en de vraies petites scénettes cocasses, autour de son fauteuil rouge théâtre et son miroir sans reflet. Il y a des chansons d’amour – beaucoup de chansons d’amour ! – dont certaines se muent en chansons d’humour les prenant physiquement au pied de leurs lettres, muée elle aussi en infirmière, chasseur d’oie sauvage ou… guitare électrique dont elle reproduit les accents ondulants à merveille. Fermez les yeux, vous y êtes ! On en redécouvre d’autres au travers de la puissance de sa voix à découvert, et surtout d’exquises liaisons osées : lorsque « L’amour est une forteresse / Dont les murs sont faits de tendresse / Aussi fins qu’un papier de soie / Mais qui ne se déchirent pas » précède malicieusement « Oh l’enfoiré m’annoncer ça comme ça de but en blanc / J’sais même pas qui c’est cette foutue Christina cette pute en blanc… », c’est sous une toute nouvelle perspective que l’on voit l’amour ! Il y a des tubes en anglais comme en français – et même en québécois ; de la variétoche et d’la « vraie chanson à texte », et il y a toujours cette pointe de parodie qui n’épargne parfois pas leurs interprètes originaux – Véronique Sanson, Charles Aznavour ou encore Johnny. Il y a des tubes, il y a des chansons oubliées d’illustres chanteurs. Bien plus qu’un jeu de reprise, c’est une performance où Elsa mène son public au doigt – le faisant applaudir à son envie – et à l’oreille – le testant dans ses souvenirs de chanson et révélant par ses choix un peu de sa voie, un peu de la nôtre. « J’vous en fait une petite dernière parce que j’préfère chanter que parler », nous dit-elle en guise d’au revoir : « Tes mélopées chromosomes et tes pas de môme / Chemin de p’tit bonhomme / Ainsi tu remontes le temps, diatonique passion / Tu laisses des silences et d’autres diapasons / A faire bouger l’ décor vers d’autres horizons / Ça l’fait pour de bon!… ».
Philippe Séranne, politique et poétique
Première présentation de son dernier album dans les Hautes-Alpes et sa ville d’adoption; inspiré par Elsa Gelly, Philippe se met à nu, débranche sa guitare, retire sa cravate, et jette sa veste aux pavés de la Rotonde !
Sous les pavés, l’herbe folle. Philippe Séranne est un rêveur de révolutions qu’il vient cette année de mettre à réalité au travers d’une campagne nationale de concerts et ateliers à refaire le monde. Dans la lueur rouge et le brouillard que l’ingénieur lumières plante avec inspiration, il nous présente cette réalité dans la lignée semblable à la parole du grand poète Édouard Glissant [voir encadré], où la genèse de ses chansons compte autant que les chansons elles-mêmes, écrites en réaction aux évènements politiques de l’hiver 2015, « à ce sentiment d’impuissance » qui l’a étreint, à ce sentiment d’espoir enfin qui porte la majeure partie de ses textes.
Dans le rouge de la scène cependant, un tango lent et long de la misère s’avance d’abord, mains au piano ; des chansons où les mots y ont perdu leur sens commun : la mer n’est plus endroit de vacances et d’apaisement ; le voyage n’est plus lieu de rencontres et d’ouverture ; et où la mélodie comme inquiétante ou paroles dans des notes aigües suspendues remue l’eau trouble de nos pensées : « la mer qui nous relie […] / rejette sur la grève d’étranges corps étrangers »…Puis, vient Le temps…des gens, qu’il livre à la guitare désamplifiée, tournée vers nous ; le réveil se fait doux puis épique au piano « viens vite et partons tisser l’entrepossible » sur lequel Monica Cofino, danseuse mêle ses mouvements : « partons à la récolte de tempêtes d’idéaux […]/ de tonnerres de fous rires/ à harceler le monde sans jamais…s’endormir ». Les fourmis volantes dansent aussi dans la lumière, le bourdonnement d’un train entré en gare se fond dans la nuit noire. La Rotonde, ce soir c’est certain, ne s’est pas endormie.
Le site d’Elsa Gelly, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là. Le site de Philippe Séranne, c’est ici ; ce que nous avons déjà dit de lui, c’est là.
Rétrolien HoRs-FOrmAt – FESTIFAI – Sous les etoiles de Veynes et du Saix