FestiFaï, en de bonnes voix
Le temps nous égare / Le temps nous étreint
Le temps nous est gare / Le temps nous est train
Jacques Prévert
« Disons-le, la vache nous émeuh, […] / dans les trains bondés/ les gommeuh, vacanciers ou cadres fumeux […] / ne voient pas les vaches sublimeuh / qui pensent / n’ont pas peur d’eux / et se raillent, à qui mieux meuh… ».
Un petit air connu ? Eh oui, c’est bien Vincent Roca chanté par Elsa Gelly. Eh non, l’assemblée ne connaît (presque) ni l’un ni l’autre. Pas étonnant, nous sommes sur un quai de gare et les voyageurs ne sont pas tous des amateurs de chanson. Et tant mieux !
Chavirements de l’autorail, les fesses collées aux sièges en sky jaunes moutarde chauffant doucement sous le soleil inconditionnel des Hautes-Alpes ; on est tous entraînés dans le Veyn’art, cette micheline vanille-fraise des années 60 à la clim’ absente et au roulis unique peuplé de mélodies et d’humour impromptus. Visages contre paysages, on ouvre les fenêtres, laissant s’envoler notes et conversations dans le vent de sa petite vitesse.
Le Veyn’art, train touristique et artistique de l’étoile de Veynes- réseau ferroviaire des Hautes-Alpes- commandé pour la première fois par FestiFaï en 2014 est de retour en 2017 : « nous sommes le seul festival à travailler avec un train ! », explique Philippe Séranne, à la fois auteur-compositeur-interprète et initiateur de ce festival insolite qui aimeuh embarquer ses artistes invités dans une création en temps réel issue d’une résidence artistique.
Nous sommes donc sur un quai de gare, la boîte à meuh d’Elsa Gelly vient d’entonner le concert à défaut de vaches qui traînent un peu moins dans les Hautes-Alpes, le soleil brille, l’air est frais, temps et train en suspens : Briançon, 1h11 d’arrêt !
On observe les chanteurs s’installer comme un spectacle : ici, pas de technicien excepté celui de la micheline. Le matos son en est réduit à son essentiel : deux trois amplis, micros, une guitare électrique, un violoncelle, une calebasse, …et des voix. Voix déferrées de leurs habitudes : Elsa Gelly, Katrin Waldteufel, Line Tafomat et Philippe Séranne qui ne se connaissaient pas 5 jours avant s’accordent à présent sans dérailler, petites fragilités soutenues par l’impro et l’humour ; éclats et trouvailles qui se ritualisent au fil des concerts sans en faire un train-train. « Chansons pour arrêter le temps », voici leur ligne. Gare de Briançon, il n’y a en effet plus d’heure ; instants suspendus dans les coups de vent : une jeune fille à mes côtés se balance timidement, les yeux dans les voix. Une grand-mère derrière tape du pied avec entrain, des sourires s’élaborent dans le soleil ; le groupe s’étoffe, devient une petite masse de gens en rond autour des chanteurs. Les cigales gardent le rythme même sous le carrément rock « Avec ma grand-mère » de Katrin Waldteufel/Cellowoman qui se mâtine à l’improviste d’un refrain en picard- on est gâtés. Quitte à déferrer Léo aussi, ces voix osent tout : « Avec le temps, on aime plusse », résonnent les mots qui préfèrent nous faire finir « en apesanteur », Philippe Séranne au micro…avant de retomber pieds sur terre : réglé comme du papier à musique, un train n’attend pas. Des voyageurs aident à embarquer ces valises incongrues à côté de la micheline qui dégage à nouveau ses chaudes odeurs : cinq minutes pour tout embarquer ! Sifflement ; il est 11h45, on part mais ce n’est pas fini : quand certains prennent le train pour arriver au festival, d’autres font du train le festival, bienvenue à FestiFaï !
LINE TAFOMAT, CHANTEUSE DANS LA CREATION FESTIFAÏ 2017
On demande souvent l’avis du public, on demande plus rarement celui des artistes. Que pensent-ils de leurs concerts en gare et de la résidence, les 4 chanteurs du FestiFaï ? Enquête spéciale d’Hors-Format réalisée par l’interviouvée elle-même (autant vous dire qu’elle est spéciale celle-là !).
J+7 déjà (et que) une semaine qu’on joue ensemble, qu’on explore nos univers respectifs, qu’on fait connaissance musicalement et humainement.
Musicalement, à J+7, on a appris les chansons des uns et des autres, on se les approprie, on s’amuse aussi, allant là où on n’a pas l’habitude de s’aventurer, hors de la zone de confort. A J+7, le répertoire au début disparate s’étoffe, s’assume, se pose. Du coup, la folie s’immisce et accentue le contraste pour dessiner le relief.
Humainement, à J+7, on titille les tics découverts au fil des répétitions, on cerne nos limites qu’on ose pousser pour les dépasser et avancer ensemble, dans le respect de chacun. Car tout professionnels que nous sommes, à J+7, quasi 24h/24, on a chacun-e eu un moment de tristesse, de fragilité, de stress, de doute. Et parce qu’en même temps que la musique s’écrit, les humains se lient, ces moments on les transcendent, dans l’échange, la parole, le chant.
Rythmés par le balancement du Veyn’art, les jours se suivent et ne se ressemblent pas, ponctués de rencontres en tous genres, de chocolat au lait et des chaleureux repas d’Aline [non, pas la contrôleuse du Veyn’art mais la responsable accueil des artistes sur le FestiFaï !] …
(Ressentis de Line Tafomat sur la résidence).
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