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Avignon Off 2017. Dans la lignée de Tonton Georges

Georges Brassens (photo DR)

Georges Brassens (photo DR)

Les Brassens à L’Atelier Florentin ; Tio, itinéraire d’une enfant de Brassens au Grand Pavois,

 

Brassens a semé tellement de graines de chanson au vent fripon, qu’une multitude de fruits de différentes qualités éclosent aujourd’hui sur ce marché du spectacle vivant qu’est le Festival Off d’Avignon. Le sétois n’aurait certainement pas apprécié cette marchandisation culturelle à tout crin, mais force est de reconnaître que, au milieu de cet immense bordel (1480 spectacles au catalogue), il nous arrive d’y déguster quelques fruits particulièrement rafraîchissants et savoureux, qui parviennent à étancher notre soif d’intelligence et à nous désaltérer. En voilà deux…

Les reprises de Georges Brassens ne se comptent plus. Devenu, de son vivant, un classique de la chanson, il y a à boire et à manger dans la production chansonnesque censée lui rendre hommage. Il n’y avait donc aucune raison pour que la grande foire estivale du Off d’Avignoun échappe à cette maladie-là. Mais, disons le tout de go, quelques spectacles échappent au naufrage et nous font entendre Tonton Georges avec des oreilles fraîches et un regard renouvelé.

Les Brassens (DR)

Les Brassens (DR)

Le premier d’entre eux, j’y ai assisté en début de festival à l’Atelier Florentin, récent théâtre permanent, qui cherche sa place dans le fourmillement avignonnais ambiant. Et qui, après trois années d’existence seulement, commence à la trouver. Et il se trouve que « Les Brassens » est un spectacle concocté par les trois initiateurs du lieu. À partir d’un choix de chansons connues (ou un peu moins), Dorothée Levreau & Anthony Alborghetti nous livre un spectacle d’une fraîcheur totale. Et la mise en scène sobre de Salvatore Caltabiano n’y est certainement pas pour rien. S’il n’y a rien de révolutionnaire dans ce spectacle, le choix de faire entendre ce répertoire-là par un duo femme-homme est plutôt une bonne idée. Car chacun sait ici que le grand Georges avait fait son miel des rapports entre les deux sexes, et n’aimait rien tant que les croquer, que ce soit avec tendresse ou avec malice, mais toujours avec intelligence. Et, du coup, entendre une voix féminine répondre et s’accorder avec une voix masculine sur « L’orage » ou « Une jolie fleur » leur offre une autre dimension, peut-être plus « unis vers celles »…

Mais, au-delà de l’espièglerie, et bien loin du manichéisme de façade, le véritable dessein subtil de ce choix de duo m’est soudain apparu durant Quatre-vingt-quinze pour cent. En effet, le petit jeu de rôles entre les deux protagonistes devient d’une clarté biblique : l’exercice auquel s’est livré Brassens dans cette chanson -en remettant le « sexe fort » a sa place-, Dorothée & Anthony le jouent aussi, dans une mise en abyme réjouissante. Et soudain, ce qui pouvait apparaître comme un « gentil spectacle hommage » prend une toute autre dimension. Et ce que je trouve fort, dans ce choix-là de mise en scène, c’est de lui avoir laissé la possibilité d’être uniquement vu au premier degré. Avec le risque que nombre de spectateurs restent bloqués à ce niveau-là de compréhension du spectacle (ce qui n’est pas grave en soi, reconnaissons-le, car le moment passé est fort agréable). Il y a donc, dans cette façon-là d’avoir abordé le répertoire de Monsieur Brassens, une véritable habileté, doublée d’une délicatesse certaine. Et le public, qu’il l’ait pris au premier ou au douzième degré, n’y a peut-être vu que du feu, mais y a manifestement pris un plaisir fou, au vu des réactions suscitées pendant et à la fin de cet excellent spectacle. Et c’est bien là le principal, non ?…

(photo Paul Evrard)

Christina Rosmini et Bruno Caviglia (photo Paul Evrard)

Et puis, quelques jours plus tard, sur les dizaines de spectacles que l’on prend plaisir à choisir, je tombe sur un conseil de Catherine Cour (autre chroniqueuse de NosEnchanteurs) qui s’est émerveillée devant un spectacle intitulé « TIO, l’itinéraire d’une enfant de Brassens ». Ce qui m’a alors donné l’idée de ce papier, en me disant que je pouvais choisir un angle autour des spectacles consacrés à Tonton Georges. Aussi, me suis-je rendu au Grand Pavois avec juste l’envie d’entendre Brassens autrement. Et je n’ai pas été déçu !

En effet, d’emblée, je me suis retrouvé plongé dans une ambiance ensoleillée comme je les aime. Une femme et deux hommes. Eux l’accompagnent avec la force tranquille des guides de randonnée, qui semblent connaître la moindre brindille des chemins qu’ils arpentent à longueur d’existence. Elle, d’apparence gracile, nous démontre d’emblée que, contrairement aux apparences, elle est bel et bien là, et qu’elle ne s’en laissera pas conter. Casquette vissée sur la tête, elle commence par le voyage. Celui de migrants d’un autre temps qui, d’Espagne et d’Italie en passant par la Corse, viennent s’installer dans une Provence métissée, dans laquelle il va bien falloir faire son trou. Une Marseille ouverte et vécue de l’intérieur nous apparaît alors. Être né quelque part et se retrouver ailleurs… Thème qui résonne d’une drôle de façon par les temps qui courent trop vite…

Et c’est donc de sa famille et de ses origines que nous chante, nous danse (nous ensorcelle, par instants de grâce) et nous parle Christina Rosmini. Artiste multiforme, sa carrière -jalonnée d’expériences toutes plus différentes les unes que les autres- est la preuve d’une ouverture rare sur le monde et sur les modes d’expression artistique. Et elle en fait montre durant ce spectacle touchant de par son propos et la façon dont il est articulé. Parce que ce qui est bluffant dans cette façon d’avoir abordé les choses, c’est le fait que cette femme d’aujourd’hui nous parle d’hier comme personne. Et pourtant, elle le fait à travers les mots de TIO. Et cet oncle universel, ce soleil qui l’illumine, la guide et vers lequel elle tend, n’est nul autre que Georges Brassens. La performance de ce spectacle réside donc dans le fait que Christina parvient à se raconter -d’une façon ô combien intime et personnelle- par la grâce des mots d’un autre. Et quand cet autre est Brassens, la magie opère vraiment.

D’autant que la belle Christina, qui ne ménage pas les arts qu’elle maîtrise à merveille (comédie, chant, danse, humour, avec une présence quasi-magnétique par moments) est formidablement accompagnée par ses deux guides d’une randonnée pas comme les autres. Sur sa guitare légère, Bruno Caviglia tricote des mélodies complexes et des accords savants, sans que jamais sa très haute technicité ne prenne le pas sur sa sensible musicalité. Et Xavier Sanchez n’est pas en reste avec ses percussions de nature très variées, qui savent toujours s’adapter au propos tenu alors. Certaines séquences pré-enregistrées complètent l’univers sonore très travaillé, l’air de rien, mais avec une grande efficacité. Vous aurez compris que j’ai été touché par ce spectacle joliment mis en scène par Marc Pistolesi et extrêmement bien produit (très jolies idées de transformation de costumes également, prises en compte dans le jeu de Christina). J’aurais juste une petite réserve sur l’utilisation de la vidéo, qui ne m’a pas apporté grand-chose (mais, peut-être est-ce dû à la petite superficie du plateau : ah, le Off et ses conditions de jeu !!!)…

Mais, hormis ce petit bémol, je dois bien reconnaître que j’ai beaucoup aimé le parti-pris et la recherche de Christina Rosmini, qui a eu l’aval du véritable neveu de Brassens pour pouvoir monter cet étonnant spectacle. Et pour faire de cet entrelacs savamment tissé de chansons, de bribes de lettres, de textes épars ça et là,… un itinéraire singulier, mais cohérent, une trajectoire lumineuse, dans laquelle l’oeuvre de Tonton Georges fait office de balise. Avoir Brassens pour phare a permis à cette famille de réfugiés poétiques de se construire une identité française. Mais, pas au sens dans lequel une frange basse du front le prend. Certes hainement pas ! Et c’est aussi en ça que ce spectacle fait sens et résonne (et raisonne) en nous : à une époque où le fascisme semble vouloir rouvrir les poubelles de l’histoire, monter ce type de spectacle apparaît donc comme une œuvre sanitaire de salut public. À bon entendeur, salut !

En tout cas, ce qui est beau et qui apparaît nettement lorsqu’un spectacle sur Brassens est réussi (ce qui est le cas pour les deux évoqués ici), c’est que le grand Georges s’y entendait comme personne pour décortiquer les rapports humains. Comme un entomologiste le fait avec un insecte. Mais, qu’il l’a fait avec une telle éthique, un tel regard et une telle singularité que, encore aujourd’hui, ces chansons nous parlent comme si elles avaient été écrites demain…

 

Les Brassens à L’Atelier Florentin (28 rue Guillaume Puy) les mardis 11 et 18 juillet à 20h30 ; Tio, itinéraire d’une enfant de Brassens au Grand Pavois (13 rue Bouquerie) tous les jours à 21h15 (relâche le mardi 25).

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2 Réponses à Avignon Off 2017. Dans la lignée de Tonton Georges

  1. Odile 24 juillet 2017 à 8 h 58 min

    Grande » Fan » de Georges, et collectionnant différentes interprétations, ce Festival Off est très alléchant!
    Et puis votre article aussi, je retiens la dernière phrase, tellement vrai …encore aujourd’hui, ces chansons nous parlent comme si elles avaient été écrites demain…

    Répondre
  2. dj Avignon 17 août 2017 à 16 h 51 min

    Georges Brassens, un artiste très talentueux selon mon avis. Je suis tout à fait d’accord avec votre conclusion. Ses chansons nous parlent encore et toujours depuis le temps.

    Répondre

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