Pourchères 2017. Philippe Forcioli, tranchées de vies
Ce qu’il sera important de garder à l’esprit, un air et des paroles à souvent fredonner, c’est cette chanson interprétée plus tard dans le même lieu, lors de la scène ouverte : « Et lorsque sonnerait l’alarme / S’il fallait reprendre les armes /Mon coeur verserait une larme / Pour Göttingen, pour Göttingen ». Car, que je sache, il y avait au moins deux nations à se faire face, terrées dans les tranchées, toutes deux dans la merde, le sang et la boue, la fièvre qui brûle pareillement les corps, la tenace odeur des cadavres, les blessures sans issue, le gaz qui s’en vient et les vies qui s’en vont, le typhus, l’horreur…
Là, c’est vu côté français, un chanteur de l’autre côté du Rhin pourrait en faire son pendant allemand. Soldats allemands et poilus partagent le fait qu’ils n’ont pas été si volontaires que ça, malgré le patriotisme des premiers jours, pour aller de gaité de cœur se faire tuer dans l’immense boucherie que fut 14-18. Il manquait à l’évocation (formidable) de Forcioli ces utiles vers de La chanson de Craonne : « Ceux qu’ont l’pognon, ceux-là r’viendront / Car c’est pour eux qu’on crève / Mais c’est fini, car les trouffions / Vont tous se mettre en grève / Ce s’ra votre tour, messieurs les gros / De monter sur l’plateau / Car si vous voulez la guerre / Payez-la de votre peau ! ». La Chanson de Craonne n’y est pas, Forcioli n’ayant convoqué à lui que des auteurs, quatorze, non anonymes eux, qui ont écrit sur des années de guerre.
Philippe Forcioli, on le sait, n’est pas que chanteur. Et ce spectacle-là, même si quelques chansons l’illustrent avec parcimonie, n’a rien d’un récital. Nous sommes dans l’enfer et le feu de cette guerre des tranchées. Côté français, cause aux auteurs qui le sont. Des qui, comme Peguy, Pergaud et Fournier n’ont eu le temps d’écrire que quelques lettres avant de tomber sous les balles et les obus. Et Apolllinaire, Céline, Cendrars, Chevallier, Dorgelès, Giono. Eux et Delfail et Fort. Et, plus tard, Le Clezio, Germain et le père Brassens.
Dans le bonheur ambiant d’un festival exaltant, un tel spectacle pourrait paraître plombant. Il peut l’être. D’autant que la canicule fut la même en ce mois d’août de mobilisation générale : « J’y suis allé non pour me battre, mais par curiosité. Ça tombe à la mi-août, on va se payer de longues vacances aux frais de l’Allemagne ».
De la Chambre pas encore dépitée au Café du commerce, l’appel à la « Mo-bi-li-sa-tion » fait violent et passionné débat : les pacifistes d’hier se muent sur l’instant en patriotes, en va-t’en-guerre. « Les Français interrompent leurs rêveries de petits banquiers pour aller se battre ». En quelques jours, la civilisation est anéantie… Le terme ne s’y prête guère, mais c’est un florilège littéraire sur 14-18 que nous propose Forcioli, avec sa voix émue et passionnée, grave et chantante à la fois. En l’écoutant, on ne peut s’empêcher de penser à certains films, Les sentiers de la gloire notamment, à feuilleter mentalement les obsessionnelles pages dessinées par Tardi. On boit l’eau croupie des tranchées, on lèche même ses vêtements. Les rats, si on les attrape, font le festin du poilu. Si, à l’instruction, on faisait semblant de tuer, là on fait semblant de ne pas mourir. Il y a des scènes d’horreur que même un scénariste ne saurait imaginer. Il y a plus encore un semblant d’humanité qui tente encore d’exister dans ce bourbier, face à la quotidienne barbarie, à la déshumanisation. Des deux côtés, j’insiste.
Dérisoire, cette chanson de Brassens, « Moi mon colon celle que j’préfère / C’est la guerre de 14-18 », comme un trait d’humour face à l’horreur. Mais « il a fallu l’horreur pour savoir comme on était heureux ». A ce titre, l’évocation littéraire de Philippe Forcioli, outre sa beauté formelle, captivante, passionnante, est un bel outil pour, s’il le faut encore, apprendre le bonheur. Et l’Europe, et l’amitié entre les peuples.
Le site de Philippe Forcioli, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Et ce que nous avons publié sur la Guerre des tranchées, c’est là.
Sur la guerre de 14, BAPTISTE W. HAMON, a composé 5 chansons, s’appuyant, entre autres sur les écrits de son arrière-grand-père.
Et c’est beau, aussi…
JPaul Gallet