L’alibi de la Libido : Phlox et Réséda se font la Belle
Arras, premier juillet. La ville est déserte, les marchands de canettes et de frites, les services de sécurité et les policiers municipaux sont à la Citadelle dans l’enceinte de laquelle se tient le Mainsquare, festival de rock qui draine des milliers de spectateurs. Ce soir c’est Major Laze qui tient la vedette et officiera jusqu’à deux heures du matin, les Arrageois peuvent confirmer. Et pourtant, une cinquantaine de personnes résiste à l’envahisseur et se retrouve dans une petite salle de l’Office Culturel pour un spectacle ravissant à tous égards : Phlox et Réséda reprennent des chansons de Marie-Paule Belle ! Elle, c’est Judith, ingénieure, lui, c’est Vincent, assistant social, tous deux passionnés de théâtre et de chansons. À leurs frais et sur leurs congés, ils ont suivi les parcours « oser chanter » initiés par Christian Camerlynck, puis se sont perfectionnés en participant à d’autres stages plus pointus. Et ils se sont lancés en assurant des premières parties de cabarets-découvertes, des scènes ouvertes, des illustrations-chansons de colloques, et j’en passe. Ils ont travaillé leurs belles voix et leurs dictions ; ils chantent bien, juste, en rythme et sont soucieux des détails ! Evidemment, ce sont des chanteurs amateurs, mais quand un spectacle de reprises atteint ce niveau de qualité, pourquoi ne pas en rendre compte, à l’instar des hommages à Ricet Barrier, Roger Riffard ou Jean-Claude Darnal ?
Après leur découverte de l’œuvre de Jacques Serizier, Judith et Vincent avaient déjà uni leurs talents pour produire ensemble un premier spectacle. Avec Damien Nison au piano, le 3 Novembre 2012, Cocktail Serize avait permis à tout un public d’être séduit par les chansons de Jacques Serizier, à tel point que Nathalie Solence, présente dans la salle, en avait vendu des disques à la sortie ! Et Nathalie, emballée, avait demandé aux deux amateurs de venir chanter dans son Salut la Serize annuel à la Vieille Grille, où ils avaient fait forte impression. Ils ont joué Cocktail Serize une petite dizaine de fois dans des chant’appart…
Forts de cette expérience, ils ont remis ça en piochant dans le copieux répertoire de Marie-Paule Belle. Pour les accompagner cette fois, ce furent Jean-François, professeur de mathématiques et bon pianiste dans ses loisirs, et Philippe, professeur des écoles spécialisé, et bassiste ou flûtiste pour le plaisir, animateur par ailleurs de l’association locale « Couleur jazz ». Des amateurs, eux aussi, qui ont réalisé de très beaux arrangements pertinents et adaptés à chaque chanson. L’ordre des morceaux et les mises en scènes ont été supervisés par Elisabeth Ponsot à l’occasion d’un séjour à Lyon. La soirée est équilibrée et extraordinaire… Les chansons sélectionnées rendent compte de toute la palette des émotions distillées par Marie-Paule Belle : la solidarité (Celles qui aiment elles), le devoir de mémoire avec une évocation de Simone Veil (Compiègne), l’empathie avec les migrants (L’Amérique c’est ça), l’amour et le regard bienveillant (Les Asphodèles, Les vieux qui dansent) et l’éloignement par désamour (Plou, Sans pouvoir se dire au revoir, Dommage) ; elles font aussi appel à l’humour avec ses petites piques acides (Mais où est-ce qu’on les enterre, La machine jaune et noire, Mes bourrelets d’antan) qui donnent lieu à des effets comiques et des gags, et dans Wolfgang et moi, Solution radicale et L’alibi de la libido ils construisent avec un pseudo-praticien ridiculisé des petits sketchs désopilants qui régalent les spectateurs ! Pas de fausses notes, ni de fautes de goût, tout est pensé, pesé, élégant… et efficace. De plus, au-delà du plaisir rebondissant qui ravit le public, les gens retrouvent des titres connus, mais surtout découvrent des chansons intimistes, romantiques ou touchantes, passées plus inaperçues dans les derniers enregistrements de la chanteuse. Ainsi, ce spectacle scintillant convie à une redécouverte de l’ensemble de l’œuvre de Marie-Paule Belle, ce n’est pas son moindre mérite. Et quand des chanteurs et musiciens amateurs en arrivent à ce niveau d’exigence et de qualité, ils ne prennent la place de personne et font vivre ce répertoire de chansons françaises qui recèle des trésors pour tout le monde. Alors, pour des festivals ou des chant’appart, pensez à Judith et Vincent, alias Phlox et Réséda, L’alibi de la Libido, Marie-Paule Belle à l’honneur, succès garanti.
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