Le Bateau-Lavoir, des couleurs qui résistent au temps
Concert de soutien au Bateau-Lavoir, 5 juin 2017, salle Paul-Fort, Nantes,
Il était une fois, à Nantes, un bateau-lavoir qui, après avoir servi à laver le linge de la ville au début du XXe siècle, fut racheté et transformé en cabaret flottant en 1968 par Patrick et Soazig Le Masson, un couple amoureux de chanson. Ce bateau-lavoir devint alors le Bateau-Lavoir, centre de la chanson « rive gauche » dans le Grand-Ouest, lieu de vie culturelle unique en son genre et tremplin pour bon nombre de jeunes artistes. Mais… Avec le temps, va, tout s’en va, y compris et surtout la solidité des vieux rafiots, et celui-ci, après avoir fermé vers la fin des années 70, dut subir une coûteuse remise en état le mois dernier…
Alors les membres de l’équipage — chanteurs, musiciens, conteurs, diseurs — organisèrent, en ce lundi 5 juin, un concert de soutien en l’honneur du mythique établissement.
Et si, aujourd’hui, les barbes et les cheveux du joyeux équipage sont couleur neige, l’enthousiasme est resté juvénile et le bonheur sincère. Lorsque je leur ai demandé ce qu’était le Bateau-Lavoir, pour eux, on m’a répondu : un « lieu magique » avant tout… Mais aussi une « école où l’on apprenait le métier » (parfois dans la douleur), où l’on côtoyait « les grands noms de l’époque » — Mouloudji, Félix Leclerc, Catherine Sauvage, pour n’en citer que quelques uns —, où l’on échangeait avec ses aînés (Jean-Marie Vivier, Colette Magny, Jacques Bertin). Un lieu où ils ont rencontré leur premier public (parfois nez à nez, vu l’exiguïté de l’embarcation), trouvé une famille et sans doute connu de franches parties de rigolade. Le nom de Patrick Le Masson revient tout le temps. Homme de conviction, il fut le capitaine de cette aventure. Mais aussi celui sans lequel « la chanson à Nantes, […] en Bretagne, ne serait pas tout à fait ce qu’elle est devenue », ajoute Jean-François Salmon.
Mais revenons salle Paul-Fort : pour le concert, la scène est nue, les éclairages simples. Chaque artiste ou formation n’interprètera pas plus de trois morceaux, histoire de faire de la place à tous. Dans le rôle de Monsieur Loyal, un Michel Boutet qui allie la discrétion à un délicieux sens de l’humour.
Pendant plus de deux heures, ce sont 19 artistes - le beau linge du Bateau-Lavoir, en somme- qui vont se succéder sur la scène, pour notre plus grande joie.
Dans une première catégorie, les interprètes (auteurs et compositeurs aussi, d’ailleurs) de « chansons à texte », accompagnés à la guitare sèche : c’est un Paul Meslet, un Jacques Bertin, un Michel Boutet ou un Jean-Michel Piton dont les chansons, sensibles et délicates pour les uns, plus écorchées pour les autres, émouvantes pour tous, nous prennent aux tripes. Nous ne pouvons que vous inviter à suivre les liens pour découvrir leur très beau travail.
Dans une deuxième catégorie, je rangerais la musique traditionnelle, ligérienne ou bretonnante, en tous cas volontiers festive.
D’abord l’inénarrable Patrik Ewen, authentique barde des Monts d’Arrée, accompagné d’un violon endiablé – et de Patrick Audouin, un guitariste virtuose venu prêter main-forte à d’autres artistes dans la soirée –, qui fait rire et chanter la salle.
Puis le duo Hélène et Jean-François (tiens, une femme !), qui sont à mes yeux l’incarnation même de l’identité nantaise. Des compositions rondes, simples et mélodiques, des chansons touchantes, qui suivent le courant paresseux de la Loire dans des évocations un brin nostalgiques qui chercheraient l’inspiration aussi bien du côté des marins que des bateliers.
Et puis les vedettes. Dont Gilles Servat. À son entrée sur scène, la salle frémit. Et reprend en chœur, tout doucement, comme une berceuse, le refrain du Moulin de Guérande : « Par-dessus le manteau d’Arlequin / Où les œillets se fendent sous le sol de Saint-Guénolé / Tournez, tournez les ailes du moulin de Guérande ». Il terminera sa prestation par un blues rigolo de 1982, Gros-Plant et Muscadet, où il « remonte dans [sa] caisse le Cours des 50-Otages », ce qui suscite des sourires entendus (le Cours est fermé à la circulation depuis quelques années).
Last (par ordre d’apparition) but not least (dans le cœur du public), les Tri Yann se sont reformés pour la circonstance dans leur configuration d’origine, les Tri Yann an Naoned, et nous chantent des titres de leur premier album… Et comme les trois mousquetaires, les « trois Jean » (Jean-Louis, Jean et Jean-Paul) sont quatre ! … avec le contrebassiste Bernard Baudriller.
Enfin, il y a les inclassables.
D’abord, le trio hispanisant Trio Gringo, qui chauffe la salle en début de concert : ah, ce Cuchi cuculi, abominable volatile au chant matinal et stupide, dont le nom devient un virelangue dont Jean Vidaillac (voix, charango), Hervé Monier (voix, guitare) et Étienne Boisdron (voix et miracles à l’accordéon) s’amusent à échanger les syllabes avec brio.
Et puis le duo Couton-Fischer nous transporte vers la planète de l’autoharp et de la mandole… Ces inséparables compères, vieux couple désormais, sont venus avec leurs enfants ! Le public réserve un accueil triomphal à la composition de Thomas Couton, Chinatown, et aux deux reprises vintage de Suzanne Fischer.
À 20 heures 15, après un final émouvant, les lumières se rallument. Déjà ? Mais…. il fait encore jour dehors ! Aurait-on passé l’âge de faire la fête jusqu’au bout de la nuit ?
Quoi qu’il en soit, quelques interrogations subsistent : le Bateau-Lavoir a-t-il fait des petits ? Si oui, où sont-ils ? Cette aventure, c’est parce que c’était eux, c’est parce que c’était alors ? Il n’y a plus d’après, à Saint-Germain-sur-Erdre ? Parce que nous, on aimerait bien que le prochain rendez-vous ne soit pas dans trente ans !
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nostalgie…