Le festival Déc’Ouvrir nous la sort bonne !
Ça va commencer à se sentir, je crois, mais je dois confesser ici un petit faible pour les concerts qui se déroulent dans des endroits un peu hors normes, du genre qui cassent un peu les codes inhérents aux salles de spectacle traditionnelles et revêtent la chanson de beaux oripeaux originaux… Alors, après le Musée de la chasse, l’Aquarium du Trocadéro, le musée Grévin, l’appartement d’Auguste Comte, l’espace VIP de Roland-Garros, j’en passe et des meilleures, c’est avec grand plaisir que nos pas nous menèrent à nouveau vers la Sorbonne, et plus précisément les ors du grand amphithéâtre Richelieu, où la Chanson avait ce soir toutes ses lettres de noblesse… La preuve, vous avez vu, j’ai même sorti le C majuscule. Ah, et ne cherchez pas l’intrus dans les endroits cités ci-dessus, il n’y en a pas ! L’amphi en question est tout de même celui où Sophie Marceau passe son oral d’agrég dans l’immortel film l’Étudiante, comme le rappellera Clarika un peu plus tard dans la soirée. Nul besoin de préciser ici l’extraordinaire et infatigable travail que mène Matthias Vincenot au service de ladite chanson. Quoique « au services des chansons » serait plus judicieux tant il se plaît à mêler malicieusement les genres afin de mieux décloisonner les chapelles et les a priori. Telle est, entre autres, la ligne directrice du festival Déc’Ouvrir qui fait se rencontrer depuis 15 ans déjà chaque été la poésie, la chanson à texte et la chanson plus populaire, le tout dans le cadre enchanteur de la campagne corrézienne. Matthias Vincenot dont il convient par ailleurs de signaler le pertinent ouvrage qu’il fait paraître ces jours-ci aux éditions Fortuna, et intitulé Poésie et chanson, stop aux a priori (100 pages pour remettre les pendules à l’heure).
Pour marquer le coup, il fallait bien cette belle soirée, chaleureuse à tous les sens du terme, une programmation gourmande mettant à l’honneur la gent féminine dans tous ses états, comme vous n’allez pas tarder à le découvrir, impatients Enlecteurs… Le magnifique amphithéâtre Richelieu était bondé de monde, et de beau monde, public, artistes et acteurs éminents du petit monde de la chanson, certains même venus de fort loin et qui se reconnaîtront ici. Serrés sur les augustes banquettes de bois chères à nos cœurs, mais dures à nos fesses, nos yeux se lèvent sur l’imposant tableau surplombant la scène, et légendé Pacem summa tenent, dont vous vous accorderez à trouver que c’est là un bien beau préambule à une belle soirée…
En préambule, entrée applaudie de l’ensemble Déc’Ouvrir, pilier du festival, dirigé de main de maître par l’impeccable Etienne Champollion, lequel signe également les magnifiques arrangements qui accompagneront les chanteuses de la soirée (je vous l’ai déjà dit que ce garçon est énervant de talent ?). De mémoire et dans le désordre : piano, claviers, clarinette, clarinette basse, violons, alto, cajon, violoncelle, basson, contrebasse et guitare électrique. Rien que ça… Petit bémol, dès le début, en ce qui concerne les voix en tout cas, il apparaît rapidement que l’acoustique du lieu semble peu propice à l’exercice du récital de chansons. Malgré ces contraintes, l’émotion sera tout de même bien au rendez-vous, portée en étendard par ces chanteuses si différentes mais pareillement talentueuses.
Chaque artiste disposant de cinq titres pour faire vivre son petit monde, c’est Clio, notre petite chouchoute (mais ne le répétez pas…), qui ouvre la soirée. Sa belle voix de chuchanteuse mélancolique est sublimée par les envolées des cordes et la rondeur chaude des bois. Au menu, Chamallow song, Amoureuse, Éric Rohmer est mort, Haussmann à l’envers et le très touchant Plein les doigts. Petits instants de grâce indicibles…
L’enchaînement est tout trouvé avec le bel univers vibrant et juste de Céline Ollivier, laquelle vient tout juste de sortir son nouvel album Grands espaces. L’occasion de retrouver sa voix trop rare en scène, ce timbre et ce phrasé si particulier évoquant parfois, sur des orchestrations somptueuses, celui de la Françoise Hardy des débuts. Au menu, Dernière bobine, Où je reprends mon souffle, Les goélands, Tes lèvres sur mon front, ainsi que Pour la peine, un titre poignant écrit après l’attentat du Bataclan, et nous invitant à avoir, plus que jamais, la tête dans les Etoiles…
Au tour ensuite de Buridane d’entrer en scène, très remarquée par mes voisins immédiats, dans une tenue décontractée et sexy, toute en jambes, pataugas, débardeur et petit short en jean, voilà qui détonne sur la scène solennelle de l’amphi Richelieu, et c’est très bien ainsi… Blonde tornade, elle débute sobrement en guitare/voix, avant d’être rejointe par les lentes pulsations cardiaques de l’orchestre, en une irrépressible montée organique. Au menu, À l’aube, Électrochoc, Taureau, Sauvage et Bleu, sur un agréable phrasé hip-hop.
À nouveau, cependant, l’acoustique de ce bel endroit n’aide malheureusement pas à la bonne compréhension de tous les textes, ce qui, convenons-en, est tout de même un peu dommage pour de la chanson. Nous aurons l’occasion d’en reparler à l’issue du concert entre spectateurs assidus (et pas des moindres), gageons qu’une amélioration est possible pour une future édition…
Et zou, voici que déboule à présent une autre tornade, brune celle-là, en la personne très attendue de cette chère Clarika ! Comme à son habitude, elle chope directement tout l’espace, toutes les lumières, tout le son (comme quoi, les habituées de la scène s’en sortiront bien mieux en ce domaine lors de cette soirée…) et, fièrement campée devant son micro, balance avec bagou ses textes chavirants aux envolées envoûtantes, comme autant d’incantations tribales, hymnes quasi chamaniques d’une princesse algonquine fière et libre. À son menu, Je suis mille, Bien mérité, La cible, et puis Les patineurs, ses steppes enneigées et son irrésistible introduction ethno-slavo-délirante, aaaaaaah, Igor ! Et puis, et puis, Je ne te dirai pas, sans conteste une des plus belles chansons post-rupture qui se puisse trouver, et son antienne bouleversante « Parce que j’ai eu tant d’amour / que si ça s’arrête aujourd’hui / j’en aurais encore pour le reste de ma vie… ». Bref, c’est beau comme une chanson de Clarika vue dans une chanson de Garance…
Dernière à venir réjouir nos oreilles ravies, Dani, figure incontournable et oiseau des nuits parisiennes, nous fait l’honneur, tout de noir vêtue, de sa présence à la flamboyance crépusculaire. Derrière ses verres fumés, la voix s’élève, culottée par la vie, les verres et la fumée, une voix immédiatement reconnaissable, toujours chaude et un peu rocailleuse. Incontestablement, la Dame en noir dégage une véritable présence, longiligne liane à la folie goguenarde… Impériale aux chœurs et à la guitare électrique éclectique, Émilie Marsh assure le job, hiératique. En guise de savoureux dessert, donc : La nuit ne dure pas, Ce n’est rien, Tout dépend du contexte et le gainsbourien Comme un boomerang, ainsi qu’un titre inédit en cadeau final. Et sans qu’il soit besoin d’incriminer l’inconfort des dures et vénérables banquettes de bois accueillant nos augustes séants, on se lève tous pour Dani !
Sans conteste une bien belle soirée, prémices délicieuses à d’estimables rencontres estivales à venir. Mais demain est un autre jour…
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