Retour à la maison Blanche
Qu’il est bon de temps à autre de quitter l’actualité de la chanson pour se replonger dans l’œuvre des grands anciens. L’occasion de se remettre en mémoire certaines chansons oubliées, voire de les (re)découvrir d’une oreille neuve, et de les confronter à l’épreuve des années, si redoutable qu’elle ne permet qu’à de rares titres de se parer du sceau de l’intemporalité.
Béni soit dès lors EPM d’avoir créé la collection Rouge et Noir, consacrée à la fine fleur de la chanson française. Belle initiative qui donne l’opportunité, à (très) petit prix, de se constituer une discothèque de classiques à faire pâlir d’envie le fantôme de Pascal Sevran. On saluera d’emblée l’éclectisme des choix : les maîtres incontournables (Brassens, Brel, Trenet, Barbara…) y côtoient des idoles plus grand public (Dalida, Sacha Distel, Line Renaud, Marcel Amont…), tandis que d’autres noms presqu’oubliés s’en reviennent pour un dernier tour de piste dans les lecteurs CD des amateurs (Lina Margy, Léo Marjane, Yvette Giraud…).
Un volume de cette collection est dédié à Francis Blanche. Artiste multi-pistes qui n’eut de cesse d’arpenter tous les chemins artistiques durant sa courte vie (il n’avait même pas 52 ans à son décès). Passant allègrement de la radio au cinéma, du théâtre au cabaret, de l’opérette à l’écriture, il reste aujourd’hui essentiellement connu pour ses prestations d’acteur. En particulier pour son rôle mémorable de Maître Folace dans les Tontons flingueurs (ah, son cri du coeur « Touche pas au grisbi, salope !!! »). Il fut pourtant aussi un prolifique auteur de chansons (plus de 400 à son actif), qu’il ne rechignait pas à interpréter lui-même. Ses titres les plus connus furent enregistrés par Charles Trenet (Débit de lait, débit de l’eau), les Quatre Barbus (La pince à linge, le Parti d’en rire…) ou les Frères Jacques (Le complexe de la truite, Général à vendre…). On en retrouve certains sur ce copieux CD, permettant par ailleurs de jouer au jeu des 7 différences et de mesurer combien le chanteur Francis Blanche ne donnait que peu dans la mesure et n’hésitait jamais à en remettre une couche, alors pourtant que la finesse des textes pouvait se suffire à elle seule (par exemple, appréciez comme il se doit la superbe tournure : « Six mois après l’orage / Nous fûmes dans une situation / Telle que le mariage / Était la seule solution »).
Des 26 titres retenus émergent surtout – est-ce vraiment un hasard ? – ceux qui nous sont parvenus par le biais d’autres interprètes. Pas de chefs-d’œuvre méconnus, donc, mais quelques solides chansons qui gagneraient à être plus réputées, comme le cruel Ça tourne pas rond (à l’origine du nom du spectacle qu’Annick Roux lui avait consacré voici quelques années), la malicieuse Fille du gangster ou la coquine Sœur Marie-Louise.
Bien sûr, cela ne brille pas par sa modernité. Les enregistrements datent des années 50 et le style est d’époque. Mais la plume est habile toujours, brillante parfois, exceptionnelle à l’occasion (existe-t-il une chanson plus absurde et antimilitariste que Général à vendre ?). Le sourire ne nous quitte pas à l’écoute de l’opus et tel était bien le but recherché par son auteur. Dommage pourtant qu’il s’en soit contenté, préférant rester à la surface des choses, sans se dévoiler outre mesure. Cette absence d’âme et d’intimité est la limite de son œuvre.
Le CD est sous-titré L’humoriste de la Chanson. On aurait tant préféré lire : Francis Blanche, le poète de l’humour.
Francis Blanche, L’humoriste de la chanson, EPM 2016. La page Wikipédia sur Francis Blanche, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. La Collection « Rouge et Noir » chez EPM, c’est ici.
Parmi les grands succès écrits par Francis Blanche, n’oublions pas « Histoire d’un amour » et « Etranger au paradis » immortalisés par Dalida, Gloria Lasso et tant d’autres interprètes. Oui Francis Blanche, l’homme de « Signé Furax »…, était vraiment un phénomène. Et n’oublions pas non plus sa chronique le dimanche matin sur Europe n°1 (il y a cinquante ans bien sûr…): « Marions-les », dans laquelle il faisait entendre des chansons dont les mélodies se ressemblaient étrangement.