Marie d’Épizon, une sirène dans le bleu de la nuit
L’ami François Bellart nous a récemment entretenu de Marie d’Épizon, lors de son concert au festival Bernard-Dimey. Elle n’avait osé nous envoyer son nouvel album, cause que nous devions déjà en recevoir beaucoup. Ce qui est vrai, mais elle avait tort : il eut été dommage de ne pas s’en délecter.
Depuis toujours, Marie d’Épizon aime la chanson. Dedans sa première guitare, y’avait déjà plein d’illustres chanteurs dont elle fera le miel de ses interprétations : Anne Sylvestre, Barbara, Jacques Brel, Léo Ferré, Jean Ferrat, Graeme Allwright… Et Barbara et Georges Brassens, dont Marie fera pour chacun un spectacle et un album (Marie chante Barbara en 2005 ; En souvenir de vous…, chansons de Brassens dédiées aux femmes, en 2006), ses deux premiers disques. Tant que longtemps, on la tint pour « la chanteuse de Barbara ». Convenons qu’elle en garde des traces jusque dans ses propres chansons.
Là, pour la deuxième fois consécutive, après Les desseins des pensées d’il y a sept ans, Marie d’Épizon fait paroles et musiques communes avec Claude Kintzler, en tandem probant, épatant. Seuls trois titres sont écrits par autres qu’eux : Bernard Joyet (un vibrant et irrésistible exposé sur le portable), Joseph Moalic et Jean-Michel Piton. « Des gens debout qui crient bravo / A la colombe et son rameau / Et font savoir qu’ils sont heureux / J’en veux ». On écoutera avec attention le J’en veux signé par Jean-Michel Piton ; pour l’anecdote autant que la malice on le comparera avec le même J’en veux du même Piton, chanté cette fois par Francesca Solleville : deux versions différentes, celle de Marie d’Épizon avant menues corrections, avant rajout. Toutes deux pareillement soutenues par un accordéon : deux interprétations, l’une en délicatesse, l’autre plus en passion, question de caractère.
Matisse et Vlaminck peignent le premier titre de l’album, Les couleurs de Collioure : « Dans un repli du temps / Il paraît qu’on entend / Un murmure singulier / Au bar des Templiers / C’est Matisse et Vlaminck / Deux fantômes qui trinquent / Et repeignent le monde / Autour d’une table ronde ». De mots et de notes parfois samba, Marie d’Épizon brosse des chansons-tableaux qui magnifient sa voix douce autant que franche, claire. Les idées ici se nichent avec politesse dans la couture des vers qui sont comme petit lait d’une vaste voie lactée. C’est chanson littéraire que la sienne, exigeante, coulée dans d’onctueuses mélodies. De par ses goûts, d’Épizon a de qui tenir : de fait, elle tient bien. Quand je dis littéraire, je ne dis pas académique pour autant. Rien de ce qu’elle chante n’est passé de mode, d’usage, de nécessité. Elle est un peu de cet air du temps, qui aime encore et toujours la poésie des mots et ne cède rien à la facilité.
On se demande d’autant comment est-ce possible, par quel incident son nom est quasi ignoré, loin dans la marge inaudible de la chanson. Comment peut-on avilir la chanson pour bourrer les programmations radios et volontairement ignorer tant de beauté ? Comment peut-elle être absente des programmations et festivals qui aiment la chanson ?
Marie d’Épizon n’est certes pas la seule à nous évoquer le drame sans nom et sans fin de Lampedusa. Ses images à elle sont violentes qui se heurtent à notre quasi-indifférence : « Les rescapés de la carène / Qui s’est brisée sur les récifs / N’en sont pas moins dévorés vifs / Par d’autres loups d’autres murènes… » Mais tout n’est pas ici peint d’un ciel désespérant : la petite pépite de ce CD tient peut-être dans cette banale histoire d’amour Rose bonbon entre une du septième arrondissement et ce balayeur africain de Saint-Ouen. Ça fait du bien aux oreilles comme à l’âme que d’entendre ça.
Marie d’Épizon, Bleu nuit, autoproduit 2016. Le site de Marie d’Epizon, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là. En concert le 19 mai 2017 à Viricelles (42), en première partie du québécois Claud Michaud : ce serait dommage de laisser passer cette bien belle occasion.
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