Kent, l’illusion vraie
Quinzième album studio en trente-cinq ans de carrière solo. S’il nous avait offert en 2013 un pianos-voix (Le temps des âmes), c’est dans un esprit plus pop-rock, certes apaisé mais pas toujours, qu’il nous revient : chez Kent, les albums se suivent qui jamais ne se ressemblent. Sensible à l’air du temps, aux tragédies qui presque font notre quotidien, il nous chante ses introspections, ses indignations. Comme chez beaucoup de ses confrères, ce disque porte les traces des attentats. Ici du Bataclan, mais quand on parle d’un attentat, on les chante tous. Lui se concentre sur les autres victimes que sont les rescapés : « Plus rien ne sera plus comme avant / Tout est devenu illusoire / Il s’est vu mort, il est un survivant / De l’autre côté du miroir / Un revenant ».
La chanson-titre est sans illusion, banale histoire d’amour sans vrai désir : « Je m’en voudrai / De te vouloir / Mais malgré cela je resterai sourd / A la morale de notre histoire ». Ce nouvel album est baigné de mélancolie triste. Qui certes nous parle surtout d’amour et d’amitié, mais dans une tonalité où rien de joyeux ne perce. Comme si rien n’était surprenant, tout banal. Désillusionné, un peu comme les chansons de Souchon. Qui jadis nous chantait C’est comme vous voulez. Avec Indigné, le premier titre de l’album, Kent dit la même chose ou peu s’en faut : « Éparpillé dans vos yeux ouverts et fermés / Je change d’allure et d’aspect / Je suis celui que vous voulez / Je me plie à vos idées ».
Les textes sont de ceux qui soutiennent une lecture à haute voix, précis, lettrés, stylés : de la belle écriture, du meilleur de Kent. Tant d’ailleurs que le titre-fleuve Si c’était à refaire (plus de sept minutes) est à peine chanté, les couplets parlés : refrain et final sont par contre pure folie musicale entre guitares électriques, cuivres et choeurs.
On ne parlera pas franchement de retour de Kent à la chanson même s’il s’était distrait ces dernières années par d’autres activités. Cette Grande illusion (rien à voir avec Renoir) est cependant une très intéressante pièce de sa discographie, certains parlent d’une de ses meilleures. Que l’on doit pour partie à Tahiti Boy (David Sztanke), avec qui Kent a travaillé en 2015 sur la scène du Cent-Quatre, à Paris. Ça lui a redonné le goût du groupe, de la pop, du « frisson primal » que le groupe ici fédéré par Tahiti Boy (guitares, basse, rythmique, saxos et piano) sait avec brio faire exister. De mains de maître, même, qui facilement nous envoute. Quoique « La dérive de nos sentiments / Nous sépare mais aussi / Nous délivre / De leurs envoûtements ».
Kent, La grande illusion, at(t)home/Wagram 2017. Le site de Kent, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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