Francesca Solleville, le point sur le i d’humanité
Ceci est bien plus qu’un disque : c’est un cinglant démenti. Oui, Francesca Solleville est toujours là, chante toujours. Plus que jamais, serions-nous tentés de dire. Elle dépose parfois les larmes, jamais les armes.
Francesca chante comme on chantait avant, comme on chantera sans doute encore demain : pour relater, pour dénoncer, le poing levé. Et laisser perler une tendresse infinie. Solleville est sans âge, comme cette photo d’elle, reproduite sur la pochette de ce disque, devant la fontaine de Trévi, immortalisée par la Dolce vita de Fellini. Ecoutez-la dans cette chanson-titre de Rémo Gary… « Je veux chanter, chanter encore / Ces chansons que je sais par corps / Et que le cœur oublie parfois / Mais je n’oublie pas chaque fois / Que mon palpitant palpita / Dolce vita ».
« J’ai toujours été engagée dans la vie », dit celle dont le grand-père maternel fit partie des mille volontaires de Garibaldi, dont la maman, tout aussi militante, lui a donné la solidité qu’elle a : « Moi, au moins, j’ai compris de quel côté j’étais. Quand t’es engagé dans quelque chose de juste et de beau, tu meurs heureux ! »
Dolce vita est le 24e album de Francesca Solleville : « Ce disque parle du pire et du meilleur : c’est ma vision de la vie ». Et l’artiste de me préciser : « Ce n’est pas que, par ce disque, je signe ma vie, mais c’est à peu près ça ». Elle fait particulièrement référence à cette chanson que lui a écrite Jean-Michel Piton : J’en veux, inventaire de vie et d’envies, et saine colère contre celui d’en haut, dans sa tour d’ivoire : « Mais là-haut dans ta tour d’ivoire / Comme toujours tu n’veux rien savoir / Entre nous j’vais t’faire un aveu / J’t'en veux, j’t'en veux / Oui, j’t'en veux ».
Francesca est pleinement satisfaite de cet album : « On m’a donné les plus beaux textes, les meilleures conditions, un très beau studio. » C’est vrai que ces textes sont beaux, tant qu’ils peuvent nous apparaître comme étant le florilège de Solleville, sa quintessence. Quatorze titres accompagnés au piano, qui par Michel Précastelli, qui par Nathalie Fortin (moitié-moitié par chacun des deux), où elle retrouve nombre des auteurs de ses plus récents albums : Rémo Gary (qui signe la chanson-titre), Yvan Dautin, Michel Bühler, Christian Paccoud, Pierre Grosz et Jean-Michel Piton. Mais aussi Eric Pellerin, Aimé Césaire, Bernard Dimey, Céline Caussimon et le jeune Jérémie Bossone qui lui offre La page blanche.
Eux et Allain Leprest, par deux inédits (Les riches et On ne commande pas), envers qui la fidélité de Francesca défiera les lois du temps et de la gravité.
La gravité ? Elle est ici dans presque toutes les plages. Et notamment celles de Méditerranée où s’échouent les corps sans vie des réfugiés : trois titres, trois auteurs (Bühler, Piton et Pellerin), pour chanter, la honte l’innommable, l’abandon : « L’étoile de mer et le poisson lune / Eclairent en bleu la nuit des noyés / Et les anémones sans les algues brunes / Sont des chrysanthèmes aux larmes salées / C’est un bel endroit… »
Le pire en ce précieux album est ici. Par ces réfugiés, par ces SDF, pour qui veut encore les voir, les entendre. Et ces esprits qui se rétrécissent en peau de chagrin, ces peuples qui, les uns après les autres, se referment sur eux, gavés de crainte : « Où que nous regardions l’ombre gagne / Ah tout l’espoir n’est pas de trop / Pour regarder le siècle en face » emprunte-t-elle à Aimé Césaire ; « Si nous voulions fermer les portes de la France / Qui donc pour les forcer ne se lèverait pas » prélève-t-elle à Bernard Dimey.
Ne vous demandez pas pourquoi les grands auteurs offrent leurs plus beaux textes à Solleville : écoutez-la, voyez comment elle les magnifie de sa voix indomptée.
Christian Paccoud a dit de Francesca qu’elle « est le point sur le i d’humanité ». Ce disque n’est sans doute pas le dernier de Solleville : il n’en est pas moins le sommet d’une artiste qui ne sait transiger, ni sur les idées ni sur l’engagement, ni sur le sens et la qualité de chaque mot, de chaque vers.
Francesca Solleville, Dolce Vita, EPM/Universal 2017. La page Francesca Solleville sur le site Merlin prod, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
Voilà une grande dame que j’ai eu la chance de croiser.
Ma question est la suivante : un artiste peut-il se dire artiste s’il n’est pas dans l’engagement véritable ? un engagement de son corps et de son âme. Un engagement dans son temps et dans son siècle. Une véritable empathie envers ceux qui ont trop de choses à dire et à qui on ne donne jamais la parole. Ceux qui ont trop de choses à dire ne parlent plus que le silence.
Oui voilà une grande et belle dame « haut-parleur » de ces petits, de ces modestes, de ces humbles, de ces héros du quotidien.
Seule la poésie peut nous extraire des boues, des vases, des ornières actuelles.
La dernière fois que nous avons papoté, Francesca et moi, elle me racontait ses souvenirs avec Johnny Hallyday. Quand, en 62 ou 63, elle a fait des premières parties du Johnny, jeune homme prévenant qui lui donnait des conseils pour esquiver les projectiles sur scène…
Francesca est une belle et grande interprète, ce dernier CD est une pure merveille. C est encore plus beau de la voir sur scène.
vos commentaires, Michel sont au plus juste de ce que l on ressent après avoir écouté ce nouvel opus.
il me reste dans mon cœur et ma mémoire les concerts d octobre a Saint Heand. Vivement mercredi pour vivre un moment d exception.
La générosité, la simplicité, l’humanité dans toute sa plénitude : voilà Francesca !