Claire Taïb. Le Dimey qui inspire
Qui médit de Dimey ? Qui serait assez fou aujourd’hui pour s’y risquer ? L’ogre de Montmartre, disparu en 1981, est définitivement entré dans la légende et son œuvre est à présent reconnue de tous comme celle d’un immense poète, l’égal des plus grands. Le temps, qu’il n’a cessé d’évoquer avec colère ou nostalgie, est devenu son meilleur allié. Plus celui-ci s’écoule, plus le géant grandit. Puisse sa renommée croître encore et encore, et son ombre engloutir tous ces faux soleils qui n’éblouissent que les aveuglés.
« J’aimerais tant savoir comment tu te réveilles / J’aurais eu le plaisir de t’avoir vue dormir / La boucle de cheveux autour de ton oreille / L’instant, l’instant précieux où tes yeux vont s’ouvrir ».
A-t-on jamais écrit plus beaux mots d’amour, tendres et douloureux à la fois ? Ce déchirant poème, mis en musique et interprété par Jehan dans son mythique Divin Dimey, est repris par Claire Taïb dans son premier CD, presque exclusivement consacré à l’auteur parisien. C’est dire si la jeune chanteuse a l’œil et l’oreille qui font les grandes interprètes.
Seize chansons composent la galette : treize textes de vous-savez-qui, mis en musique essentiellement par Aznavour (dont La salle et la terrasse, repris jadis par Yves Jamait) ou par Claire Taïb elle-même, par ailleurs auteur complet d’un titre (Colère), trouble miroir d’une chanson méconnue d’Aznavour encore (De t’avoir aimé). Pour compléter l’album, un dernier morceau écrit par Philippe Thivet et composé par Giovanni Mirabassi, pianiste de jazz croisé récemment avec Cyril Mokaiesch, qui accompagne ici la chanteuse de ses dix doigts virtuoses.
Saluons donc l’initiative toujours heureuse et utile de faire vivre et faire connaître l’œuvre de Bernard Dimey. Donnons surtout un coup de chapeau au remarquable travail de (re)création accompli. Qu’il s’agisse de reprises de chansons existantes (dont l’immortel et populaire Syracuse ou le classique reggianien Si tu me paies un verre) ou de poèmes portés sur des musiques nouvelles, tout est inspiré et semble neuf. La compositrice Claire Taïb a su faire face à la difficulté de mettre en notes les longs couloirs d’alexandrins de l’auteur montmartrois. Quant à l’interprète qu’elle est (avant tout ?), elle nous transporte de sa voix claire aux confins de l’émotion, guidés par sa diction parfaite et sa sensibilité rendant les mille nuances des mots chantés. Ajoutez à cela la maestria jazzistique de son complice, une sortie des sentiers battus (par exemple, par le surprenant et iconoclaste Syracuse, dont toute la dimension nostalgique a été gommée) et le plaisir sans nom de (re)découvrir cet immense écrivain. Au total, vous obtiendrez mille bonnes raisons de faire l’emplette de ce disque ou d’aller applaudir cette belle artiste sur scène dès que possible.
Le CD porte le joli nom de Chansons pour demain. Tout un programme. Un manifeste même. Car si le dix mai (1981) ne fait plus rêver grand-monde, le Dimey reste d’actualité, comme tous les frères d’humanité qui auront su toucher le cœur universel de l’homme.
« On peut dormir ensemble à cent lieues l’un de l’autre / On peut faire l’amour sans jamais se toucher / L’enfer peut ressembler au paradis des autres / Jusqu’au jardin désert qu’on n’avait pas cherché ».
Claire Taïb, Chansons pour demain, fdb production/EPM 2016. La page facebook de Claire Taïb, c’est ici.
L’occasion aussi de réécouter et de (re)-découvrir le très bel album sorti il y a une dizaines d’année et intitulé » Valérie Mischler chante Bernard Dimey « …
Le vieux Bernard
Le vieux Bernard est mort,
Pas si vieux, pas si mort,
Et ses mots chant’nt encore
Du côté de Montmartre.
Son vieux cœur cabossé
Qui en a vu passer,
Par son encre versée
N’a pas cessé de battre.
Les enfants de Louxor
Sont à peine orphelins,
Emportant ses trésors
Dans le creux de leurs mains.
Et qu’ils se soient connus
Ou ratés de mille ans,
Cela n’importe plus,
Ils se touche(nt) à présent.
Le vieux Bernard est là,
Pas si vieux, pas si las,
J’entends venir son pas
Au détour d’un bouquin.
Je le vois agiter
Ses manches élimées,
Jurant de s’envoler
Avant le jour prochain.
Le quartier des Abbesses
N’a pas rendu son âme,
Sous les néons en liesse
Couve encore une flamme.
Celle qu’entre ses doigts
Il roulait à minuit,
Faisant feu de tout bois
Pour baliser ses nuits.
Le vieux Bernard est mort,
Pas si vieux, pas si mort,
Voici qu’il règne encore,
Superbe roi de rien.
Et dans sa silhouette
Imposante et désuète,
Danse l’ombre fluette
D’un espiègle gamin.
Son royaume est ouvert
Aux quatre vérités,
On y compte les verres
Comme on compte les pieds.
Si le bout de sa rue
Devient le bout du monde,
Ne vous étonnez plus,
Même la terre est ronde.
Le vieux Bernard est mort,
Pas si vieux, pas si mort,
Et Dimey chante encore
J’ai « fais l’emplette ». J’adore. Et la voix de Claire Taïb -une prénom prédestiné !- m’enchante. Son phrasé jazzy se mêle au piano pour ne faire qu’un. Bravo et un grand merci.