Daguerre et paix en ces nuits traversées
« Cette nuit nous devons partir et on ne va pas se mentir / D’autres ont essayé avant nous, et on a tous entendu dire / Fuir c’est mourir / Il nous faut prendre le risque d’affronter ce sentiment / Et choisir / Qu’on a le droit de rêver / D’une meilleure destinée / On a le droit de rêver / De la nuit traversée. »
Paradoxe : l’objet CD ne vaut plus rien tandis que le bon vieux 33 tours renaît de ses cendres et semble justifier un prix prohibitif. Si tous les CD étaient présentés comme l’est le nouvel album de Daguerre, on les tiendrait peut-être avec plus de respect : non comme un vulgaire objet de consommation, qu’à tout prendre le téléchargement peut sans mal supplanter, mais comme l’expression d’une œuvre. C’est ici manifeste.
Le nouveau Daguerre – son sixième album – se présente comme un beau livre à l’italienne. Les textes des chansons, les illustrations de Sarane Mathis. Et le récit de Mély Vintilhac qui s’insère entre les chansons, ou les introduit. Et, en fin du livre, dans sa gangue de plastique, le disque laser. Forcément, ça ne se manie pas pareillement. On caresse la couverture, on passe le doigt sur le titre imprimé en vernis sélectif, on le lit dans le noir comme si c’était du braille. On tourne les pages avec précaution. Du coup, même le disque s’écoute autrement. On a raison : il n’est pas pareil.
Le propos y est grave, dans les nuances du gris foncé. « Transpercées par le récit de l’écrivaine Mély Vintilhac et les illustrations de Sarane Mathis, les neuf chansons inédites de Daguerre tissent une toile sombre et lumineuse, éclairée de sa voix rauque et profonde. Au rythme des mots, des dessins et de la musique, on se perd, on se retrouve, on oublie, on se rappelle, on se bat, on se relève. Une traversée à oser… » nous instruit la bio. « Transpercées » ? Qui de la poule ou de l’œuf ? Daguerre a-t’il écrit sur le texte de l’auteure ? Est-ce elle qui s’est inspirée des mots du chanteur ? Et le dessinateur ? C’est une œuvre à trois, chacun se nourrissant de l’avancée, des émotions de l’autre. Mais aussi d’une ambiance, de l’air du temps… « J’ai le deuil posé sur le comptoir / Une araignée du soir sans espoir / La chaleur de l’orchestre me fait monter des pleurs / Réchauffés par les mots du chanteur » chante Daguerre dans Oublier. Il nous faut traverser cette nuit, « écrire, respirer, insuffler, tisser, dessiner, chanter, hurler, souffler », « être vivant, avec eux, pour eux, en eux » écrit Mély Vintilhac. Les dessins sont entre bistre et noir. La musique oscille entre pop et rock.
Textes, dessins et chansons : le temps de ce livre, de ce disque, est suspendu. Il y plane la vie et la mort, la guerre et le désir de paix. Il y souffle le désir de liberté. Ce disque, cette œuvre, est un monument, comme l’est celui érigé place de la République, à deux pas des terrasses de café et d’un Bataclan martyr. « Il nous faut prendre le risque d’affronter le tourment / Un long désert ».
Daguerre, La nuit traversée, livre-disque, LamaO éditions 2017, 21 €. 2017. Le site d’Olivier Daguerre, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs à déjà dit de lui, c’est là.
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