Dans les vieilles casseroles de Fishbach
À l’heure où tant d’artistes doivent tuer père et mère pour avoir juste le droit à un entrefilet dans la presse, certains bénéficient parfois d’une telle vague porteuse (pas toujours très justifiée) qu’ils semblent en devenir incontournables. Dernier exemple en date : Fishbach, jeune chanteuse carolomacérienne (ça en jette plus que de dire qu’elle est originaire de Charleville-Mézières, non ?), se voit dérouler sans coup férir le tapis rouge médiatique. Qu’on en juge : des Inrocks (dont elle a fait la couv’) qui y voit « une belle promesse du paysage musical français », au Figaro qui estime que « ce premier album bouscule les codes et promet de marquer durablement la nouvelle scène française », en passant par Télérama qui « guettait son couronnement » ou Elle qui est « envoûté », chacun y va de son couplet laudatif. Cela méritait donc que NosEnchanteurs ouvre une oreille circonspecte, pour verser notre obole au concert de louanges ou pour dénoncer le rouleau compresseur en marche.
Le résultat ? Mi-figue, mi-raisin ! Dès les premiers accords, nous sommes replongés dans les années 80, avec ses synthés à gogo, les réverbs et la batterie qui vont avec. Okay, c’est voulu, entre clins d’œil kitsch et hommage appuyé. On remontera donc le temps, redécouvrant les (dé)plaisirs pris à l’écoute d’un Indochine, d’un Axel Bauer ou – pire – d’une Julie Pietri ou d’une Sandra. La voix de la chanteuse n’est pas en reste de revival, rappelant irrésistiblement Rose Laurens (c’est flagrant sur le morceau qui ouvre le CD Ma voie lactée) ou Catherine Ringer. Reconnaissons que tout cela est bien fait, rythmé et dansant, et s’écoute sans heurter, avec mention spéciale à Un beau langage, jolie chanson poétique sur l’amour virtuel qui règne à notre époque. Mais peut-on sérieusement estimer que cette voie nostalgico-post moderne représente l’avenir de la chanson française, fût-elle pop ? D’autant que ce chemin a déjà été largement défriché par les Brigitte, non ?
Quant aux paroles, c’est du côté de Mylène Farmer que l’on se tournera, pour ce romantisme morbide (la mort est évoquée à chaque détour de titre) un peu toc et tape-à-l’œil. Et comme chez sa glorieuse aînée, les formules heureuses (« Jamais rien vu d’aussi mortel que ces tirs au hasard / Élancée comme une guerrière dans la mêlée / Le regard fixe, prête pour la rixe, j’ai riposté... ») côtoient l’abscons et le n’importe quoi (« Je fonds / Si tu marches au pas / Nouvelle fois je monte / Au front, à fond / T’amène pas j’ai des voix... »).
Beaucoup de bruit pour pas grand-chose alors ? On pourrait le penser, si l’on ne décelait derrière ce premier disque une réelle personnalité, qui se révèlera probablement avec le temps (la belle n’a jamais que 26 ans !), quand l’artiste aura tourné le dos à ce passé musical envahissant pour tracer sa propre voie. Les échos et les vidéos de ses prestations scéniques laissent en outre percevoir que c’est sur les planches que l’artiste donne tout sa démesure. On jugera dès lors sur pièce, vraisemblablement à l’occasion des festivals d’été.
Dans l’immédiat, elle s’appelle Fishbach, son CD s’intitule À ta merci, c’est une écoute agréable, au charme certain, et ce n’est déjà pas si mal.
Fishbach, À ta merci, Label Entreprise 2016. La page de Fishbach (sur le site d’Entreprise), c’est ici.
Trois points à relever :
tout d’abord la fameuse hypocrisie de certains médias branchouilles. La chanteuse de Fishbach a toujours assumé qu’elle adorait Mylene Farmer. Il y a pire comme référence (tant pis pour les allergiques à la Rousse qui doivent être nombreux ici), mais surtout elle est honnête, là où tant de chanteurs, de chanteuses ont puisé chez Farmer des gestes, des intonations dans la façon de chanter, des maniérismes dans la façon de poser pour les photos, de chanter sur scène, jusque dans les clips (combien de fois en voyant un clip, on se dit tiens y’ a de l’influence Farmer) et tout ça sans l’assumer. Mais voilà, par on ne sait quel mystère les médias branchouilles qui fustigent Mylene Farmer parce que c’est de bon ton, sont les mêmes qui portent Fishbach aux nues, c’est du grand n’importe quoi. Alors notre jeune chanteuse n’a peut-être pas demandé tout ça. Ce qu’elle fait est pas mal, pareil, nous trouvons que c’est mi-figue, mi-raisin, nulle révolution à l’horizon, mais enfin y’a pire. Souhaitons lui de durer et de ne pas être trop dupe par rapport à ces médias qui l’encensent. Parce qu’un moment donné, c’est un classique, ils se détourneront d’elle d’une manière ou d’une autre.
Ce qui nous emmène au deuxième point. Ces médias branchouilles (et j’emploie ce mot à juste titre) font peu vendre en 2017. Peut-être un peu plus Télérama que les autres. Des chanteurs en off me disaient que le seul intérêt d’avoir un article dans ces médias c’est de pouvoir les relayer ensuite sur les réseaux sociaux. Cela veut dire qu’en 2017 un article dans par exemple Télérama ou la diffusion d’une courte interview sur France Inter n’a plus de valeur intrinsèque.
Ce qui nous emmène au troisième point : il faut se méfier des révélations. De ce qu’on appelle révélations. Dans les archives médias, on ne trouve pas d’article traitant de Manu Galure, par exemple comme d’une révélation. Il n’y a pas eu alignement des astres (médias) pour parler de lui ou d’autres comme des révélations. Et pourtant, il chante toujours. Nous ne disons pas que c’est facile (mais depuis quand la vie d’artiste est facile?), mais en épluchant dans une médiathèque des’vieux’ magazines et musiques actuelles, je me suis aperçu que quand ils parlaient de tel ou tel comme d’une révélation, et bien les révélations en question ont fait psschitt…. on n’en entend plus parler. Plus d’actu, plus rien. Ou si peu. Alors cela nous ramène à la conclusion du premier point : oui, souhaitons à Fishbach de durer. Faire parler de soi pour un premier cd, c’est pas forcément ce qu’il y a de plus compliqué. L’effet nouveauté aidant. Mais durer, surtout à une époque où les choses vont tellement vite, où le zapping est roi, c’est une autre pire de manche.
Bien d’accord avec LM : le plus dur, toujours, c’est de durer ! Et les médias sont champion pour oublier le lendemain ceux qu’ils ont encensé la veille (mais c’est encore pire en cinéma, où la consommation des jeunes actrices se fait à un rythme effréné).
Quant à Fishbach, je lui souhaite bien entendu longue vie, mais ce n’est pas en se limitant à faire du recyclage des 80′s qu’elle pourra marquer durablement. Là, c’est plaisant et rigolo. Mais à partir du CD suivant, ça sera répétitif. Il faudra bien qu’elle passe à l’étape supérieure.
L’article de Télérama…Rarement vu un article aussi dithyrambique!
Il est plus qu’exagéré de voir dans cet album une synthèse de toutes les musiques qui l’ont précédé, de la pop des années 60 en passant par le rock français, le punk rock et la pop-électro des années 80 qui se serait débarrassée de ses tendances girly. Fishbach a de l’ambition et prétend ne se laisser enfermer dans aucun style, même si le son dominant est l’électrodance des années 80.
Quelques titres évoquent les relations amoureuses, de Ma voix lactée « J’ai pas trouvé les mots / Ni le buvard / Que tu avais dans la peau », à Un beau langage, sur les relations via écran . Le dernier titre, A ta merci, où la voix plus légère, modulée, évoque plutôt celle de françoise Hardy, laisse imaginer l’émotion que pourrait susciter Fischer si elle abandonnait son orchestration de boules à facettes .
La trame dominante du disque est cependant la mort, personnifiée (On me dit tu) « On me nomme la mort / On me dit tue / On me dispute encore », annoncée « Quelle est ta dernière volonté avant de connaître / Les mystères de cette lumière qui va disparaître », menaçante « Élancée comme une guerrière…», par suicide (Le château), issue du Meilleur de la fête « Ce soir je vais faire le mur / Et m’échapper sur une étoile /Je me fous de la procédure / Ma décision est radicale » ou développée en des termes abscons dans ce single réorchestré, Mortel : « Laisse toi faire, voguer en elle, propice / J’ai de quoi faire, des jambes en l’air, bionique/ Mes bras de mère m’offrent de faire l’artiste / Tirer en l’air, j’vais m’faire un authentiste /Jamais rien vu d’aussi mortel que ces tirs au hasard »
Seulement les quelques effets rythmiques, modulations de voix ou de chœurs, qui pourraient soutenir l’ambiance dramatique des textes, sont à chaque fois neutralisés par une orchestration de boîte de nuit aux notes répétitives, sirupeuses, de synthés des années 80 ( on imagine les jeux de lumière stroboscopique…)
Encore une fois, une orchestration plus sobre rendrait mieux raison aux textes et à la voix bien timbrée de Fishbach, voir la reprise de Trapèze de Bashung ou la performance avec chœurs de Mars 2017 à l’Opéra de Rennes https://www.youtube.com/watch?v=lw-inQlJF78