Cyril Mokaiesh, du rouge au noir
Il était, en 2011 sur son premier album, fier et rouge porte-drapeau ; il est, en ce nouvel opus (le quatrième) lanceur de slogans sur noirs panonceaux, comme les pavés d’une révolution avortée.
Des chansons poing levé, dont une en duo avec le camarade Lavilliers, où ils fustigent de concert La loi du marché : « On vous laisse la tribune les honneurs du pouvoir on vous laisse voler la victoire ». D’autres où la Rose s’est évanouie, où la fasciste blonde s’invite au débat (« Quelle promesse à tenir pour que demain ne dessine rien en bleu marine ? ») et un seul cri : rester libre, rester digne ! Puis, au-delà de sombres tableaux et de terribles envies d’espoir, s’invitent quelques paysages où une histoire d’amour s’enfuit, où la belle Ostende donne des envies de vagabondage, où on se promène à travers la vie, simplement…
Un très joli duo avec Elodie Frégé (Houleux) pose, encore, un regard sombre sur la marche du monde : « D’accord tout lasse et tout casse, d’accord on a perdu la trace, ok le temps nous assombrit… » Notre terre est houleuse, les certitudes s’estompent, le bateau ivre tangue. Il faut tenir la barre. On y croit !
La voix est douce et engageante, et de justes mélodies accompagnent et égrènent la vie, avec un regard d’ado furieux, d’amoureux nostalgique, de touriste égaré, de Doisneau photographe, d’adulte exaspéré, de papa Petit Prince, de citoyen angoissé, de poétique révolutionnaire, de copain en question…
Clôture fourmille de tant de regards, posés sur des angoisses, sur une situation politique alarmante, sur une époque de doutes et de révoltes, de solitude et de poésie. Et, malgré la gravité de certains sujets traités, de constats implacables, il en sort une impression de quiétude et de douceur, à l’écoute d’un album noir et blanc. Avec du rouge dedans et des pavés qui fusent : « Le capitalisme a tué l’existence en la privant de son humanité, seuls quelques bandits y trouvent leur compte en nous réglant le nôtre » et même « chez Lidl, le pack de bières a des pulsions suicidaires » ! Heureusement, au 32 de la rue Buffault, on va voir « si les gaufres au chocolat soignent tous les p’tits bleus que t’as ».
De révoltes en espoirs, de luttes en coups de cœur, de ballades en affront, Cyril Mokaiesh nous entraîne à travers la vie, « Une vie pour me connaître, pour te connaître, voir ce qui nous relie »… Et, ici, son talent nous relie.
Le site de Cyril Mokaiesh, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Bien d’accord avec l’analyse de Pierre, c’est une totale réussite que cet album où, sans jamais abandonner la façon directe d’exprimer ses révoltes sur le monde tel qu’il nous est fait, Mokaiesh mêle, tisse et retisse ses interrogations intimes. Ecoutez ce Seul qui commence en satire politique pour finir en chanson de rupture et d’autodérision : « Et comment ça « ta gueule »/ Avec ta chanson/ Tes violons » . Petites citations indirectes « Noir c’est noir / Y a plus d’histoire » (allusion au titre adapté par Georges Aber d’un hit anglo-saxon pour Johnny Hallyday dans l’album La génération perdue, il n’y a pas de coïncidence). Ou « C’est quoi cette histoire de vie qui défile sans qu’on puisse jamais l’arrêter » qui rappelle la chanson de Debronckart récemment interprétée, Ecoutez, vous ne m’écoutez pas.
L’album est aussi une merveille musicalement, où le rock n’a jamais tant mérité son nom, par ce balancement puissant mêlé de chœurs lyriques, jusque dans les chansons les plus engagées « Reste et vibre / Pour la France (…) Pour que demain ne dessine / Rien en bleu marine ». Mokaiesh arrive à nous bercer, nous consoler tant dans ses chansons intimes (Blanc cassé, Une vie) que dans les chansons de plus tristes circonstances, telle Novembre à Paris. Il nous y fait dresser le poil sans appel à la haine, dans cette plainte, ce cri « Oh, qu’est-ce que c’est / Ce vol noir de corbeaux » , dans ce « Aux armes » qui n’est qu’un murmure. Pas de titre faible dans cet album que je ne me lasse pas de redécouvrir à chaque écoute.