Paul Meslet, l’ombre en pleine lumière
On guettait jadis ses fières moustaches à la mode d’Antraigues mais les dessins (de son fils Emmanuel) sur le visuel et le livret ne le représentent cette fois-ci que de dos. « Pas de photo, pas de moustaches, juste l’amitié » me dit malicieusement l’artiste, en guise de complice dédicace. On se fiera donc désormais à son ombre. L’ombre bleue, titre de ce nouvel opus.
S’il nous avait fallu patienter pas loin de trente ans entre son premier album et le second, le délai fut cette fois bien plus rapide avec ce troisième, sept ans tout au plus. Vous dire qu’il est bien, qu’il est agréable, oui, c’est d’une rare évidence. A force d’écouter disque sur disque, la seule épreuve qui en atteste, c’est quand celui-ci se laisse écouter sans faiblir ni faillir, jusqu’au Déraisonnable, à savoir ici son dernier titre : « Juste le déraisonnable / Le poing frappé sur la table / Pour défendre l’opprimé / Le cri quand on doit se taire / Le refrain de la colère / Toute gorge déployée. »
Le climat angevin est doux aux mots de Paul Meslet (ainsi qu’à ceux de Jean-Pierre Routhiau, qui signe sur ce disque deux magnifiques textes) qui, ma foi, n’ont rien à envier à ceux de paroliers de renom. Terre de poésie où on retrouve l’amicale proximité d’un Pierron ou d’un Boutet. Et l’idée plus lointaine d’un Leprest. Des mots qui suggèrent naturellement des notes, jolies mélodies (comme Les prés carrés…), de celles qui cheminent en nos têtes et petit à petit s’y logent. Notes dont le pianiste et arrangeur Tony Baker fait miel, lui et les fidèles « compagnons des premiers jours » de Meslet que sont Olivier Moret et Francis Jauvain.
Le braconnage et le goût de l’interdit, des mamans girondes aux boules de fort, le pas hésitant qui s’élance sur le fil de la vie, cette vie au bout du compte qui fait dette sur une ardoise, des rêves que le fleuve Loire emporte, tout fait saisissante poésie. Comme ce rappel à la dignité de l’homme (« Frères humains, hommes de peine / Frères humains aux yeux si doux / Ne succombez pas à la haine / Et à ses grimaces de loup », « Mauvais endroit mauvaise graine / Grands intérêts sombres discours / Croyez-vous qu’en semant la haine / On récolte des chants d’amour ») en prévision sans doute de rudes échéances électorales à venir. Et celui, s’il le fallait encore – mais ça semble utile -, de ces obus qui ont plu sur Verdun, par l’insolite truchement d’une Gueule cassée : « Tu es belle ma mère à moi / Mon Picasso mon Véronèse / Ma gueule cassée, ma déchirure / Je pose un câlin de minot / Sur notre ligne Maginot / Juste un baiser sur ta blessure ».
Comme sur l’album précédent qui déjà mariait « la fleur de sel au miel », le sel parfume deux titres majeurs de ce disque (Elle est de sel et la chanson-titre L’ombre bleue) : Guérande n’est pas si loin d’Angers, d’où Meslet s’échappe en lousse-dé.
C’est un disque sinon de peintre ou de galeriste au moins d’amateur de peinture, omniprésente au cœur des vers, à plus forte raison quand Je peins des ciels (paroles de Jean-Pierre Routhiau) et que viennent en renfort du chanteur la crème des peintres, de Corot à Seurat, de Degas à Millet, d’Utrillo à Chirico…
Tous ces textes, tous, peuvent être lus, chantés, commentés, étudiés ; tous sont d’une fine écriture, en plein dedans comme en déliés. Gravité et émotion, passé, présent et futur, éducation sentimentale et éducation politique, ce copieux disque de 14 titres pourrait être un des fidèles de votre platine. Je crois qu’à force de l’écouter, il bonifie et s’ouvre plus encore : il a tant de choses à nous dire.
Paul Meslet, L’ombre bleue, Le chant des hommes 2016. Le site de Paul Meslet (pour commander le disque), c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Pas de vidéo encore reprenant un des titres de ce nouvel album. En voici une, « Coup de lune », extraite de « Les jours qui tanguent », le précédent album :
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