Philippe Forcioli : Cadou, pour l’eau
Certes, comme le chante Michèle Bernard, Cadou s’est endormi. Mais son œuvre reste en éveil, toujours travaillée par d’autres artistes, des chanteurs souvent. Gilles Servat, Morice Benin (deux disques, dont un lauréat de l’Académie du disque Charles-Cros, et une compilation), Manu Lann Huel, Paul Dirmeikis, Martine Caplanne, Julos Beaucarne et d’autres encore auxquels s’ajoute désormais Philippe Forcioli, par ce coffret de trois albums : deux consacrés à Cadou… le troisième confié à Clara Saussac qui joue Jean-Sébastien Bach. Bach qui irrigue les deux premiers disques. Pourquoi Bach, Cadou aimant principalement Schubert ? « Parce que Bach demeure pour moi LE musicien » répond Forcioli, qui aime à se retrouver ici entre Schubert et Cadou. Forcioli, qu’on sait surtout fervent de Joseph Delteil (un double CD François d’Assise en 1995 puis un double CD Jeanne d’Arc en 2009), précise, malicieux : « Delteil pour le feu et Cadou pour l’eau ».
« Vous étiez là je vous tenais / Comme un miroir entre mes mains / La vague et le soleil de juin / Ont englouti votre visage / Chaque jour je vous ai écrit / Je vous ai fait porter mes pages / Par des ramiers par des enfants / Mais aucun d’eux n’est revenu / Je continue à vous écrire… »
Pas de paroles sur le livret, mais l’utile renvoi à la lecture de Poésie, la vie entière de Cadou chez Robert-Laffont. Les pages sont mieux utilisées encore, par des contributions tant de Philippe Forcioli lui-même que de Jacques Bertin, Jacques Bonnadier, Jean Lavoué et Luc Vidal. Tous, en prose, parfois en vers, relatent Cadou qu’ils éclairent de leurs propos, de leurs émotions. La rencontre avec Cadou (à la vitrine d’une grande librairie de Lille, pour Bertin), le quotidien de tout un chacun avec l’œuvre du poète (« J’ouvre mon Cadou le soir. J’y trouve « les mots qui portent immédiatement secours » comme aurait dit René Char », confie le journaliste Jacques Bonnadier), le regard porté sur le travail de Forcioli (« Le labeur poétique impeccable de Forcioli a saisi magnifiquement la dimension intime et profonde du chant que Cadou a porté dans la toile de l’histoire et sa tragédie » assure Luc Vidal, le créateur des Editions du Petit Véhicule)… Rien que ce livret mérite attention, sage et attentive lecture.
Mais il y a aussi ces trois disques, dont deux faits pour grande partie des textes de Cadou. Plus d’une quarantaine de poèmes dits ou mis en musique par Forcioli. On ne portera pas ici un regard sur Cadou, sur son oeuvre, juste encourager nos lecteurs à le (re)découvrir au besoin. Mais commenter des adaptations, remarquables. Pour chercher le ton juste, le son juste, Forcioli a longtemps travaillé en studio avec le duo Philippe Soulier (l’arrangeur)-Jean-Marc Fouché qui lui ont suggéré contrebasses et claviers, cymbalum et thérémine, percussions et grandes orgues. D’autres musiciens apportent, eux, tuba, accordéon, piccolo, flûte traversière et clarinettes, tenora et batterie. Troublante osmose entre les mots et les musiques, que les notes magnifient plus encore.
Ces deux ou trois notes d’écoute, de lecture, sont forcément maigres, creuses. Il vous faut écouter ce triple album, quatorzième opus du tranquille Forcioli, artisan passionné des mots et des vers, qui aime tant transmettre pour un auditoire certes limité mais qui – vous le savez si vous en êtes – peut lui en être pour longtemps reconnaissant.
Philippe Forcioli, Poètes ! René Guy Cadou ? Mais montrez-moi traces des clous !, triple CD autoproduit (avec le soutien de la Scène Nationale de Foix et de l’Ariège) 2016. Le site de Philippe Forcioli, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. La page Wikipédia sur Cadou, c’est ici. Il ne semble pas avoir de vidéo disponible sur Forcioli chantant Cadou.
Superbe disque, dense dans la beauté, la ferveur, l’émotion.