Balthaze, animal en cavale
Jérôme Balthaze fait partie de ces artistes nés dans les années soixante-dix. Parenthèse enchantée, bien que pour lui bétonnée, balançant son berceau entre une ville pas très gaie et des steppes désertiques, loin, plus loin à l’Ouest. Guitariste autodidacte, percussionniste, il est venu à la musique par le funk et le jazz, tant Nouvelle-Orléans que Danube pas très bleu, il admire Neil Young comme Bob Marley, Yves Simon comme Nougaro, et a toujours eu le goût de l’écriture poétique. Même s’il écrit et compose depuis des décennies, il nous présente ici son premier album, dont les titres ont été déjà rodés en concert.
Les fées pas très traditionnelles qui ont étoilé sa tête lui ont donné le talent de textes sculptés de la gouge la plus puissante à la plus fine, opposant le vulgaire « Des doigts au cul, reprends c’est du poulet » aux mots joués et mis en musique avec subtilité « Le roi odieux nous a bien enfumés / Adieu la joie quand chacun son fort fait » ; Balthaze attaque droit devant par deux chansons rugueuses, rentre-dedans, voix puissante après le décompte légendaire, « Et un, et deux, et trois, et quatre », énergie à revendre, il y a du boxeur dans cet homme-là.
Ça rauque, ça roule, ça swingue, ça fanfare sans fanfaronnade, et ça folke aussi dans de tendres balades.
C’est sans cesse impression de cavalcade, mélodique et rythmée, sur une musique très colorée de ses cordes, de ses cuivres, de ses percussions exotiques qui la réchauffent encore. Même quand le message est dur, la musique est réconfortante. Alors qu’il lui arrive de jouer en solo en concert, avec guitare, banjo et harmonica, ou bien en trio ou quatuor, il a pour cet album invité la crème des musiciens. Citons Yann Pompidou des Mother of Love aux cordes pincées toutes catégories, du charango à la guitare électrique en passant par la mandoline ou le banjo, Thomas Chalindar de In the canopy à la batterie, et les Fils de tepu aux cuivres (trombone, saxophone baryton, trompette). Sans oublier la contrebasse de Jean-Louis Cianci ou le violon d’Oliver Pornin : lui-même joue d’une guitare flamenca, de claviers, de la batterie et de toutes sortes de percussions latines.
L’Invisible animal, qui a donné le nom à l’album, c’est l’autre, celui de la France d’en bas, qui tente de survivre dans son monde pas très légal, méprisé et ignoré, celui qui n’est pas des vôtres, « Nos deux mondes se regardent / L’un en méfiance et l’autre sur ses gardes », sur une musique balancée, épicée d’une pointe d’Orient.
La cavale devient intime, toujours aussi rythmée par la contrebasse qui roule, ponctuée de la guitare flamenco, du banjo et du violon, c’est chaud comme un volcan, c’est Emeus-moi qui sonne aussi comme aime-moi, « La fougue de tes râles, mon arrogante / ligne de mire, que je te sente ».
Aux accents folk de sa seule guitare tourne sur la plage « Mon petit debout bout d’nana (…) qui divague dans ce géant bac à sable », joli exercice de rêve et de tendresse paternelle.
Etrangement la plus calme, la plus douce des mélodies évoque «Entre ces quat’murs de béton (…) Un milliard d’images couvrant / La ville étouffée de gens », remontant des souvenirs de jeunesse plutôt amers.
Et puis ce souvenir d’un soir d’orage où les sensations écrivent en direct une chanson magique « Du haut de mon perchoir vide / J’inspire, j’admire et je rime (…) Coule l’encre sur le papier » où la musique traduit l’humeur du poète « Le jour se lève / D’une nuit sans rêve / Jeune Eve / Le jour se lève / Genève / Mes yeux pleins de sommeil / Stylo en éveil ».
Encore un sommet d’écriture somptueuse pour ces chansons de séparation Tu vas me manquer (ou pas, ou pas, ou pas) enflant dans une explosion de la trompette déchirante, avant de retomber « Je ne t’écris pas, les mots me lèchent / Et mon cœur doucement soigne ses brûlures » ; ou de manque, dans ce Brooklyn dégueulasse où « Partout, je cherche ta trace (…) C’est insensé/ je sais » sur les guitares hurlantes en boucles infernales.
Dix titres, dont une reprise en français très réussie du succès A horse with no name. On sort sonné, emballé, rechargé en énergie mais aussi en tendresse pour mieux se battre contre les empêcheurs de vivre.
Balthaze, Invisible animal, autoproduit, 2016. Le site de Balthaze, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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