Nougaro à bras-le-corps
par Anne Collas
Le 22 novembre 2016 au Grand-Rond à Toulouse,
Vous vous souvenez des fins de concert, de ce rituel qui revient, imperturbable : les artistes se tiennent par la taille, ils s’inclinent devant le public qui applaudit, puis ils se présentent et distribuent les remerciements…
Eh bien en cette venteuse soirée toulousaine, les trois garçons qui se prêtent à l’exercice sont sans doute inconnus de la plupart d’entre nous… Mais… Voilà que l’un d’entre eux s’empare du micro pour remercier, non pas l’ingénieur du son, ou mes parents sans qui, ou encore les bénévoles qui font un si beau travail (il le fait aussi, cela dit !), mais pour dire le nom du poète dans lequel il croit. Et alors très vite, sans s’appesantir, il joint les mains devant la poitrine, paume contre paume, et incline le buste dans un geste qui dit la salutation, mais qui parle aussi d’hommage et, à mon sens, d’infini respect.
Et moi, je suis bien décontenancée. Car c’était un hommage fidèle que j’étais venue chercher dans la « ville rose », touriste lambda en quête du « produit typique de la région », du génie musical de cette « ville gasconne » où « l’Espagne […] pousse encore sa corne ». Bref, vous l’avez compris, moi, j’étais venue visiter Claude Nougaro. Mais ce que ce Commando Nougaro nous a donné à entendre, ce soir-là, c’est bien plus, bien autre chose que « du Nougaro ». C’est une réappropriation inédite des chansons de cet immense poète.
Pourtant, le set, qui n’a duré que 50 minutes, aura été assez court. On ne peut d’ailleurs pas parler de concert proprement dit, puisque c’est un « apéro-spectacle » organisé par le Théâtre du Grand-Rond, près de la Halle aux Grains, dans le centre de Toulouse. Théâtre ? Plutôt un café, ce lieu chaleureux où a lieu le concert, et qui partage les coulisses avec la « vraie » salle de théâtre. À la fin du spectacle, on reprendrait bien un petit verre de chanson à la Commando, mais non, non, l’apéro doit céder la place au plat de résistance, c’est-à-dire, en l’occurrence, à une pièce de théâtre.
Avant la fin du concert et ce geste symbolique d’hommage si chargé de reconnaissance et d’émotion, les membres du Commando se sont présentés les uns les autres, comme le veut la tradition. Ce sont avant tout des musiciens : il y a d’abord François Dorembus, celui qui est au centre du tableau : il (s’)accompagne à la guitare sèche et dans son CV long comme le bras, je retiens qu’il « œuvre depuis plus de trente ans sur le chantier des mots et des sons ». Ah oui, ça lui va bien, ça. Fabrice Aillet, que j’ai vu parfois caresser délicatement une guitare électrique, a l’air d’être le benjamin du groupe. Sans doute prédestiné à être là où il est ce soir, vu qu’il est né l’année où le Maître publiait Rimes, sur une musique d’Aldo Romano… et enfin il y a Olivier Capelle, qui, pendant le concert, produira des sons électroniques en tournant les boutons d’une console ou en tapant sur un carré noir en caoutchouc avec des baguettes. Surtout, surtout, il nous emmènera, sur sa Plume d’ange, dans un monde où « la foi est plus belle que Dieu » avec un incroyable talent de comédien. Et puis, ces garçons du mistral chantent aussi tous les trois, parfois en solo, parfois en alternance, parfois en harmonie, parfois ils lancent une phrase parlée, la terminent chantée, se donnent la réplique, nous mettent en transe avec leurs vocalises, nappent en arrière-plan, slamment, déclament et même : ils improvisent !
Je pourrais vous parler, non pas de leurs yeux, de leurs mains, mais je pourrais vous parler d’eux jusqu’à demain… Du répertoire dans lequel ils sont allés piocher, trouvant les pépites qu’ils nous ont présentées dans des chansons connues et d’autres qui le sont moins. De leur talent d’interprètes, de leurs arrangements travaillés, de leur sensibilité, enfin, qu’ils ont su communiquer. De ce moment où les os de François Dorémus sont sans doute devenus noirs d’avoir fait remonter jusqu’à nous les odeurs de l’Afrique avec sa Locomotive d’Or. Des étranges détours que prend l’Amour sorcier, du clin d’œil à l’égérie brésilienne de Tu verras, de cette tristesse et cette angoisse qui suintent si distinctement derrière les barreaux de Sing Sing et surtout, surtout, de cette émotion du public à l’évocation de la Plume d’ange dont Olivier Capelle a si bien su nous raconter l’histoire. J’ai eu l’impression que nous, le public, avons été portés par sa performance, nous étions suspendus à ses lèvres, cela se sentait. Et cette dimension théâtrale n’enlevait rien au propos. Elle était comme un supplément d’âme et d’émotion.
Malgré les remarques entendues de certains spectateurs qui ont trouvé les vocalises ou les parties instrumentales trop longues sur certains morceaux, ou qui ont regretté le choix de Plume d’Ange pour terminer le set, je suis sortie émerveillée de cette soirée.
Le Commando Nougaro porte bien son nom. Il s’est emparé de l’œuvre du Maître à bras-le-corps, il lui a fait subir une attaque en règle, il l’a passée à la moulinette et ce qui en ressort est à la fois une authentique création et un hommage à cette extraordinaire poésie que nous a léguée Claude Nougaro.
Anne COLLAS
Le site de Commando Nougaro, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Commando Nougaro, c’est là.
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