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Le Quesnoy en chanteur(s) 2016, un festival humaniste qui irradie au-delà des remparts

(photos François Bellart)

Thierry Garcia dans la Cantate pour un coeur bleu (photos Christiane Delacourte)

Le Quesnoy est une petite ville du Nord, célèbre par ses fortifications très bien conservées, possédant un beau Théâtre des Trois Chênes situé dans une rue rebaptisée récemment Rue Graeme-Allwright lors d’une manifestation avec la Nouvelle Zélande. Le festival Le Quesnoy en chanteur(s), sous la direction de Stéphane Hirschi, et soutenu par une municipalité fidèle, y a pendant vingt ans programmé à chaque arrivée de printemps le meilleur de la chanson francophone. NosEnchanteurs le distinguait déjà en 2013 (1). Cette année, le témoin passe en douceur, et en parfaite intelligence, à Didier Pascalis, de Tacet, et la succession des soirées est alléchante. NosEnchanteurs y est accueilli à bras ouverts, ce qui peut augurer, de notre part, une implication plus importante lors des prochaines éditions.

BÉBÉ MER AVANT D'ÊTRE GRAND'MER (« CANTATE POUR UN CŒUR BLEU ») « Peut-être que, sans doute, tout vint d’une goutte… » C’est histoire d’eau, qui se forme et grandit. Car on ne devient pas grand’mer comme ça, il faut avoir été bébé mer auparavant. Je vous mets dans le bain : cette cantate est plein d’eau qui mouille la Méditerranée des deux côtés… La scène est bondée comme plage en été. Quelques quarante enfants (…) pour qui une cantate n’est pas la mer à boire. Et l’orchestre. Il pleut des cordes. Il pleut sur la mer et, n’en déplaise à Leprest, ça sert au moins la beauté. Quelques autres musiciens aussi. Et Romain Didier, rivé à son long piano tout noir. A son micro aussi, qu’il partage avec la belle Enzo Enzo. Et, dans un coin, le récitant dont on se dit que, pour l’avoir écrit, il doit connaître l’intrigue par cœur. C’est Allain Leprest lui-même. Rien n’est étranger à la mer. L’histoire et ses galions reposant en ses fonds, les sirènes, Neptune et Poséïdon, les Sumériens, le trésor perdu des amphores, les algues teintées de henné, les mouettes, le « nageur échoué sur ses seins gravissant le téton des îles », les côtes, la Sicile… rien. Cette cantate baigne d’au moins deux cultures, deux rives, deux peuples, deux continents, deux musiques. D’une même mer qui coulent dans nos veines, qui nous dit notre ressemblance, pareils comme deux gouttes d’eau. Enfants ou plus grands, nos chanteurs tirent des fonds des colliers de légende, « des histoires longues comme les longs fils », l’histoire des hommes. « Ils cherchent l’étoile des mers, elle cherche la rose des sables… » La Méditerranée est puit de science, océan de sagesse, là où notre passé, le présent et le futur viennent boire ensemble, comme fauves et antilopes ensemble. Leprest et Didier ont fait ici ode à l’onde, à l’amour et au respect de l’autre, de sa réalité, de ses croyances. Cette cantate est un rêve éveillé. Et, le temps de ce rêve, nous sommes complices ébahis, coupable de paix et de vivre ensemble. Spectacle par nature exceptionnel, car infiniment rare. Moments de bonheur dans le sourire d’Enzo Enzo, dans les intonations tantôt douces tantôt graves de Romain Didier, par ces garçons, ces fillettes qui ondulent leur chant comme la mer ses caprices, par ses violons que caressent les archers. Pour aussi Leprest, présidant à son récit, le voyant vivre à ses côtés. On nage de bonheur, on se noie dans les bons sentiments, peut-être, dans l’idéal d’une mer apaisée. Mais dieu que c’est bon d’ainsi boire la tasse, d’imaginer de tels lendemains qui chantent. D’enfin les entrevoir…  MICHEL KEMPER (Saint-Etienne, mai 2010)

BÉBÉ MER AVANT D’ÊTRE GRAND’MER
(« CANTATE POUR UN CŒUR BLEU »)
« Peut-être que, sans doute, tout vint d’une goutte… » C’est histoire d’eau, qui se forme et grandit. Car on ne devient pas grand’mer comme ça, il faut avoir été bébé mer auparavant. Je vous mets dans le bain : cette cantate est plein d’eau qui mouille la Méditerranée des deux côtés…
La scène est bondée comme plage en été. Quelques quarante enfants (…) pour qui une cantate n’est pas la mer à boire. Et l’orchestre. Il pleut des cordes. Il pleut sur la mer et, n’en déplaise à Leprest, ça sert au moins la beauté. Quelques autres musiciens aussi. Et Romain Didier, rivé à son long piano tout noir. A son micro aussi, qu’il partage avec la belle Enzo Enzo. Et, dans un coin, le récitant dont on se dit que, pour l’avoir écrit, il doit connaître l’intrigue par cœur. C’est Allain Leprest lui-même.
Rien n’est étranger à la mer. L’histoire et ses galions reposant en ses fonds, les sirènes, Neptune et Poséïdon, les Sumériens, le trésor perdu des amphores, les algues teintées de henné, les mouettes, le « nageur échoué sur ses seins gravissant le téton des îles », les côtes, la Sicile… rien.
Cette cantate baigne d’au moins deux cultures, deux rives, deux peuples, deux continents, deux musiques. D’une même mer qui coulent dans nos veines, qui nous dit notre ressemblance, pareils comme deux gouttes d’eau. Enfants ou plus grands, nos chanteurs tirent des fonds des colliers de légende, « des histoires longues comme les longs fils », l’histoire des hommes. « Ils cherchent l’étoile des mers, elle cherche la rose des sables… » La Méditerranée est puits de science, océan de sagesse, là où notre passé, le présent et le futur viennent boire ensemble, comme fauves et antilopes ensemble. Leprest et Didier ont fait ici ode à l’onde, à l’amour et au respect de l’autre, de sa réalité, de ses croyances. Cette cantate est un rêve éveillé. Et, le temps de ce rêve, nous sommes complices ébahis, coupable de paix et de vivre ensemble.
Spectacle par nature exceptionnel, car infiniment rare. Moments de bonheur dans le sourire d’Enzo Enzo, dans les intonations tantôt douces tantôt graves de Romain Didier, par ces garçons, ces fillettes qui ondulent leur chant comme la mer ses caprices, par ses violons que caressent les archers. Pour aussi Leprest, présidant à son récit, le voyant vivre à ses côtés. On nage de bonheur, on se noie dans les bons sentiments, peut-être, dans l’idéal d’une mer apaisée. Mais dieu que c’est bon d’ainsi boire la tasse, d’imaginer de tels lendemains qui chantent. D’enfin les entrevoir…
MICHEL KEMPER (Saint-Etienne, mai 2010)

Cette 21° édition, même si elle déroge au sacre du printemps pour se dérouler à l’automne, reste toujours dans le droit fil des intentions et pratiques des précédentes : faire découvrir une chanson délaissée des médias pour excès de qualité, fidéliser le public et attirer des nouveaux spectateurs. D’abord par la diversité des artistes invités : Les Mauvaises Langues et Yves Jamait occupaient successivement la scène des Trois Chênes le 15 novembre, et quatre jours plus tard

Manu Lods

Manu Lods

venaient sur le même bois Manu Lods suivi de Romain Didier et Enzo Enzo dans la Cantate Pour un Cœur Bleu d’Allain Leprest et Romain Didier. Sans oublier des espaces proposés en tout début de concert à des débutants locaux (Sandfil et Belem Hirschi). Ensuite par la mobilisation de petits lieux aux alentours, comme la grange d’Englefontaine, endroit sympathique où les propriétaires vous accueillent pour le concert de l’artiste (Jérémie Bossone le 17 novembre) et pour partager ensuite un repas préparé par la maîtresse de maison, très chaleureux moments. Enfin, par la sensibilisation des jeunes qui seront le public de demain. Ainsi, plusieurs dizaines de scolaires du Quesnoy et des alentours, constituant la chorale Gamin-Gamine sous la direction de David Renaux, ont répété depuis la rentrée. Ils prennent goût à la chanson et, lorsqu’ils sont sur la scène, leurs parents et amis sont dans la salle. Ils bénéficient en outre d’un spectacle dédié aux familles le dimanche après-midi, le subtil Icibalao de Presque Oui, dans lequel les enfants chantent aussi. On ne serait pas complet si on omettait les conférences et les rencontres des artistes avec les collégiens et lycéens de la cité scolaire et les étudiants en lettres de l’Université de Valenciennes où Stéphane Hirschi enseigne… la « cantologie » (2) ! Il faudrait plusieurs articles pour rendre compte de tous les aspects de cette entreprise culturelle exemplaire dont l’incidence s’étend dans toute la région du Quesnoy.

copie-8243Comme tout festival se doit d’avoir sa soirée exceptionnelle, soit un prestation unique, soit un spectacle que les festivaliers ont peu de chances de revoir ailleurs, les projecteurs sont cette fois-ci orientés sur la reprise de Cantate pour un cœur bleu, ode à la Méditerranée, créée en 2006 au festival international des musiques sacrées de Fes. Romain Didier est au piano et au chant, Enzo Enzo au chant, Thierry Garcia à la guitare et une bonne quarantaine d’enfants de Gamin-Gamine aux chœurs. Les nombreux spectateurs immobiles sont subjugués par la beauté et l’ampleur musicale du projet, par la variété des mélodies en accord avec les différentes cultures bordant cette mer, par la qualité du chant des artistes, alterné ou mélangé, et par la prestation des enfants de la chorale : l’ensemble est rythmé, enlevé, entraînant ou émouvant et riche en symboles. Les mots et les allégories d’Allain, leurs cheminements dans les phrases, sont bien assimilés par les jeunes choristes, et c’est prodigieux compte tenu du peu de temps de répétition avec David Renaux. Enfin, il faut insister sur la pertinence de cette représentation, tant les propos de Leprest se révèlent d’une actualité saisissante, à l’heure où des milliers de migrants traversent la Méditerranée au péril de leur vie dans l’espoir d’une nouvelle insertion : « Le voyage fut dur et j’en garde les marques / Le cœur serré pour mes frères partis sur ces barques / Car l’eau de notre mer qui un jour te sourit / À Tes pieds le lendemain peut venir pour mourir. »

Ces strophes et beaucoup d’autres nous rappellent combien la prospérité et la pluralité de la Méditerranée sont dues aux périlleuses migrations et aux fusions de populations qui s’installèrent sur son pourtour. Après un tel festival, qui prétendra que la chanson française n’est pas de plain-pied dans le vécu du monde d’aujourd’hui ?

 

(1) « Le meilleur de la chanson francophone à l’arrivée de chaque printemps » , mars 2013. (2) Stéphane Hirschi vient de faire paraître, aux Editions Les Belles Lettres, La Chanson française depuis 1980 : de Goldman à Stromaé, entre vinyle et mp3. Nous y reviendrons très prochainement.

Ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’Enzo Enzo, c’est ici ; de Romain Didier, c’est là.

http://www.dailymotion.com/video/x9qeo3

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