Décalage immédiat !
Concoctée par l’inventif et prolifique Matthias Vincenot (Prix Moustaki, festival DécOuvrir de Concèze, concerts en Sorbonne…), cette belle soirée accueillie par le Forum Léo-Ferré promettait fort sur le papier… et nous n’avons pas été déçus ! Le principe : écouter les artistes là où on ne les attend pas, ouvrir grand ses oreilles, se laisser surprendre, charmer, peut-être… Sur le programme, la ligne directrice est clairement posée : « Chacun interprétera une chanson en décalage avec son propre univers, apparemment éloignée de son répertoire habituel, pour simplement émouvoir et partager des chansons qui, pour des raisons diverses, ont pu compter ou correspondre à son histoire personnelle ». Comme vous l’allez découvrir, chers Enlectrices et Enlecteurs, nous n’étions pas au bout de nos (bonnes) surprises ! Ne serait-ce que par le casting qui aurait suffit en lui-même à nous attirer en ces lieux de perdition de culture, et qui regroupait une partie non négligeable de la FFCFAQ (Fine Fleur de la Chanson Actuelle de Qualité).
Un seul titre par artiste, c’est parfois bien court, et c’est Askehoug, l’élégant dandy protéiforme qui ouvre le bal avec sa reprise homérique du Chanteur, fidèle à lui-même, seul au piano aqueux, la moustache en éveil et sa belle voix barytonnant à qui mieux-mieux sur les envolées balavoinesques. Toujours la grande classe mêlée d’un subtil et délectable soupçon de décadence, un vrai régal !
Le chemin est tracé pour ses comparses d’un soir, et c’est Alice Benar qui enchaîne dans la foulée. Nous vous avions déjà confié en ces lignes tout le bien que nous pensions d’elle, et ce lors de la finale du tremplin Vive la Reprise du Centre de la Chanson, tremplin qui prend cette année l’appellation « Et la chanson va… », et dont nous vous reparlerons sous peu, gageons-le. C’était alors avec son groupe Au creux de l’A, nom énigmatique s’il en est, dont elle nous confiera plus tard qu’il vient de s’étoffer d’une violoncelliste. Une artiste et une formation à suivre de très près, sans conteste… Elle nous offre ce soir une version tango épurée et pleine de candeur des Bêtises de Sabine Paturel, parfaitement accompagnée à l’accordéon par un Etienne Champollion carlosgardélien en diable.
C’est une Clio plus que jamais pleine de promesses qui s’en vient ensuite se frotter au titre La Terre est ronde du rappeur Orelsan (« Tout c’qu’on veut, c’est être à la maison… »). C’est peu dire qu’on ne l’attendait pas forcément dans ce domaine si peu rohmerien, et pourtant, flanquée de ses choristes d’occasion, elle nous dévoile là un pan d’elle-même baigné d’un irrésistible flow d’émotions scandées. Sans conteste, une Clio plus en forme(s) que jamais… Chapeau bas !
C’est au tour de la talentueuse et trop discrète Inès Desorages d’entrer en scène, et de rafler, peut-être bien, la palme de l’originalité et du funambulisme musical réunis, jugez plutôt : en amuse-gueule, épaulée de ses trois choristes de luxe, elle délivre une épatante variation polyphonique sur l’immortel jingle de pub que vous avez tous en tête, « Quand je fais de la purée Mousseline, je suis sur que tout le monde en reprend ! » A peine le temps de faire un petit volcan pour mettre le jus dedans, à peine celui de vous conseiller la version bien trash qu’en avait fait Elmer Food Beat (cf. La grosse Jocelyne), et voici un autre grand moment, une version à quatre voix de l’immortel Itsi bitsi petit bikini, jadis chanté par une certaine Yolanda Giliotti. Gonflé, original et, surtout, très réussi !
Il est temps pour nous de chercher le garçon, et c’est la prometteuse Pauline Drand qui se charge pour nous de cette besogne, convoquant tout en sobriété les mânes de Taxi Girl. Un accompagnement dépouillé au piano, une belle voix blanche et comme détachée, et au final une interprétation inattendue et pleine de charme…
De charme, il sera également question avec l’inénarrable Garance qui rajoute une petite pincée d’humour discret pour sa version savoureuse de Casser la voix de qui vous savez. Une version agréablement folk qui ne s’embarrasse pas de fioritures et va droit au but, telle une moderne Emmylou Harris. Quelle belle façon de redécouvrir un titre un poil galvaudé qui s’en vient ainsi gambader à nouveau entre nos esgourdes ravies et désengourdies…
A force de chercher le garçon, le voici qui vient nous retrouver sous la crinière de neige du plus jeune des vieux chanteurs comme il se qualifie lui-même, le patriarche (de Noé) Éric Guilleton que l’on a toujours grand plaisir à croiser en scène… Armé seulement d’un ukulélé, il prend à bras le corps Vous les femmes, mais si, vous savez bien, le titre emblématique du papa d’Enrique Iglésias… On craint (bêtement) le pire deux secondes, et soudain la magie opère : caressée par la belle voix de rogomme du bonhomme, la chanson prend une toute autre dimension, s’élève, se love, s’enroule entre les cordes vocales, et putain, je vous jure qu’on découvre qu’elle est belle, ainsi nimbée d’une belle langueur monotone (ben quoi, c’est l’automne…)
Tel père, telle fille, voici venir Margaux Guilleton, venue nous donner « l’envie d’avoir envie » d’un certain Jean-Philippe Smet (enfin, surtout d’un certain Jean-Jacques Goldman, soyons honnête, une fois n‘est pas coutume…). Quand je pense que Sardou a refusé cette chanson et qu’il aurait du l’interpréter, j’en jaunis à l’idée. Une version étonnante eu égard au petit gabarit de la jeune chanteuse, et au final, une version de goualeuse façon Piaf rock qui met les poils des avant-bras au garde à vous dans la salle. Oui, au travers ses chansons ou rien n’est jamais vain, elle a l’art de bâtir des châteaux, Margaux.
C’est maintenant à Mèche de mettre le feu aux poudres, fièrement harnachée de sa guitare électrique blanche, en petite robe sage et couettes idoines, pour une version candidement perverse d’Ophélie est zoophile de Jad Wio. Poussant le jeu du décalage jusqu’à l’absurde abscon, elle fait de ce texte déjà bien barré à la base une délicieuse comptine troublante au-delà de la déraison, en un jeu de séduction sulfureux et languide… Nul doute n’est permis, cette fille fonctionne à piles.
On continue dans le genre résolument lunaire avec la prestation appréciée de Liz van Deuq se livrant à un véritable exercice de style sur l’immortel Nuit de folie de Début de Soirée. Nous assistons pour le coup à un vrai boulot de (re)-création, et je vous prie de croire que de voir le vénérable Forum Léo-Ferré reprendre à tue-tête ces paroles gravées dans le marbre de l’inconscient collectif, ce fut un grand moment ! (Je tiens à disposition des curieux désirant constituer des dossiers sur certaines personnes présentes l’enregistrement et les noms des susdits…). Mais Dieu que cette chanteuse peut être drôle, avec son petit côté pince-sans-rire et son air imperturbablement sérieux ! Gros, gros succès à l’applaudimètre.
Pas forcément facile de passer derrière pour le jeune Hugo Vellenne, qui nous propose cependant un agréable pot-pourri de chansons bossa d’agréable facture sur lesquelles planent l’ombre bienveillante de Pierre Barouh. C’est bien fait et Saravah bien comme ça.
La suite est assurée sans coup férir par une autre présence féminine ensorcelante en la personne de La Jeanne, dont le premier album avait su nous charmer il y a quelques lurettes déjà. Une indiscrétion à l’issue du spectacle nous confirmera que le prochain est en cours de finalisation, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir… Seule au micro, en un champollionesque piano/voix, elle nous gratifie de sa belle voix à la fois grave et cristalline (ne soyons pas ennemis de l’oxymore !) d’un très joli titre traditionnel en israélien, de l’émotion à l’état pur, et les phonèmes qu’on aime aimer.
La suite… Ah, damned, la suite… Vous me connaissez, j’aime à me faire plaisir de temps à autre et glisser quelques vérités vraies, ou supposées telles, mais on me souffle à l’oreille qu’il serait maladroit de commenter plus avant la version de J’ai tout oublié de Marc Lavoine, par Baya Kasmi et Michel Leclerc. Dont acte. D’ailleurs, j’ai tout oublié. Heureusement…
Lizzy Ling se charge de remettre les pendules à l’heure en reprenant à sa sauce toute personnelle le Je suis un homme de Polnareff, et on est presque tentés de la croire, malgré les apparences qui sont clairement contre elle ! Toute craquante dans son petit costume gris, elle semble presque la première étonnée des paroles qu’elle chante et nous mène au bout du titre sans coup férir, terminant par un clin d’œil complice : « je suis une mouche ! »
L’occasion de noter que Jean Fauque, qui devait figurer dans la programmation de la soirée, a malheureusement été retenu par un projet personnel. Et que Gauvain Sers, prévu lui aussi, a été retenu par un Zénith impromptu en première partie d’un petit jeune prénommé Renaud. Si, si. Tant pis pour lui, il ne sait pas ce qu’il a manqué. Ou plutôt si, maintenant…
Il reviendra à ZO de clôturer cette belle soirée en nous conviant à faire en sa compagnie, et en celle de sa guitare, un bien beau Voyage, voyage d’une certaine Claudie Fritsch, plus connue sous le nom de Désirless. La voix est grave et bien posée, l’interprétation sans faille, et nous passons là un bien beau moment, ma foi.
Après le salut collectif, tout ce petit monde se retrouvera en d’agréables échanges autour de quelques boissons rafraîchissantes, la suite serait délectable, malheureusement, je ne peux pas la dire et c’est regrettable, ça nous aurait fait rire un peu, à n’en pas douter… Remercions encore les instigateurs de ces beaux moments qui auront su nous prouver qu’il est de bon ton de savoir, parfois, dépasser les clichés et les a priori pour redécouvrir certaines perles qui, peut-être, n’attendaient que de nouveaux joaillers pour luire d’autres feux. Ces B.O de nos vies, ces marqueurs de notre mémoire collective, nous espérons les retrouver très bientôt, qui sait lors d’une prochaine édition de ces décalages inspirés. Car demain n’est-il pas un autre jour ?
Tout cela donne envie de découvrir le résultat. Espérons que cela aura été filmé et que Youtube jouera bientôt son rôle de diffuseur universel…
Merci pour ce compte rendu fort bien troussé qui ne vient pas compenser le fait de n’avoir pas été présents mais qui offre un tableau exhaustif de la soirée !
Il n’y a pas plus clair que ce compte rendu. C’est clair que cette soirée a été magnifique sachant que des artistes d’univers différents y étaient présents.