« Marre Mots » : Yoanna et Quillion travaillent l’émotion
A toute chose malheur est bon. Pour vivre de son art, les chanteurs se doivent désormais d’élargir leur palette, leur offre. Si beaucoup se tournent vers des spectacles de reprises, d’autres explorent la chanson jeune public. Avec bonheur.
Il faut certes aimer les enfants, en avoir même ne serait-ce que pour tester sur eux comme on le ferait en laboratoire. Mine de rien, avec tous ces artistes qui touchent désormais à ce domaine-là, la chanson jeune public s’est carrément bonifiée. Certes, il se trouvera toujours un tourneur de Zéniths pour retirer avec précaution les bandelettes de la momie Chantal Goya et lui refaire faire un tour de piste avec sa cousine Bécassine, aussi bécasse qu’elle, mais constatons que la chanson pour enfants est désormais d’une qualité inégalée, dans la foulée (là aussi, elle est encore précurseur) d’Anne Sylvestre et de ses fabuleuses Fabulettes.
Il y a quelques jours nous avons parlé ici-même du nouvel album (et spectacle) pour enfants de Thomas Pitiot. Et il y a quelques temps de Coline Malice, Syrano, Ignatus, Aldebert, Christian Paccoud, Weepers Circus, Les Ogres de Barback, Noof (ex-Wriggles), Michèle Bernard, Rémo Gary, Debout sur le zinc, François Hadji-Lazaro… Autant d’artistes épatants qui, le temps d’un ou deux disques, d’un spectacle, ravissent bien plus jeune que leur public habituel.
Marre Mots, ce sont Yoanna et Brice Quillion. Professeur des écoles, Quillion est aussi musicien classique qui, un jour, a découvert Brassens. Et l’ukulélé. Depuis il chante et joue. Sur ce disque, il écrit, compose et chante. Yoanna, NosEnchanteurs vous en a souvent parlé : on lui doit déjà trois albums : les deux derniers, vous le savez, sont de singulières pépites.
Eux n’ont pas essayé de faire et distribuer aux enfants des chansons comme on leur donnerait leur ration de Smarties ou de Yop. Quillion et Yoanna se sont placé du côté de l’enfance, « à cet instant où l’on commence à sentir, à comprendre que l’on est traversé par des émotions, toutes sortes d’émotions, et que l’autre, l’adulte, semble avoir oublié et ne pas comprendre ». Et y’a pas besoin d’être môme pour être scotché par certaines de ces chansons tant elles visent justes, sans cible et sensibles. Droit au cœur. Ça questionne, ça travaille dans le dedans et doit se voir au dehors.
Imaginez des chansons écrites pour des enfants qui parlent d’un père violent et alcoolique, de la mort « toujours en vie », de cauchemars et de gros mots, des stéréotypes sexués.
Une « guirlande d’émotions » que ce Marre Mots, oui : tristesse, incompréhension, colère, révolte, injustice, tout y passe. Les petits enfants ont des émotions de grands, qu’ils découvrent, qu’ils domptent, qu’ils assument. Ça en fait un disque et un spectacle précieux, un livre aussi – que nous n’avons pas vu encore –, matériaux exceptionnels pour reprendre ça en classe et à la maison, pour poser les mots quand y’en a marre, quand y’en a trop ou pas assez. C’est bien de traiter les gosses pour les grands qu’ils sont en train de devenir.
Yoanna et Brice Quillion, Marre Mots, Matcha/Musicast 2016. Le site de Marre Mots, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Yoanna, c’est là.
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