Facteurs Chevaux, le presque silence au pas, pas même au trot
Dans la production chanson, cet album tient, sinon de l’extra-terrestre, au moins de l’insolite, du pas vu pas entendu. D’ailleurs, eux-même le disent, en exergue sur la pochette de leur disque : « Pénétrer dans l’univers de Facteurs Chevaux risque d’ouvrir une brèche spatio-temporelle dans votre quotidien, sans certitude de retour à la normale ». Ils osent fortement vous suggérer l’équipement adéquat pour cette aventure : chaussures de rando, coupe-vent, gourde, fruits secs et bâton de pèlerin, tout pour les suivre « jusqu’au refuge où ils ont entassé guitares en bois, lampes de poche et vieux livres remplis de légendes et autres histoires à dormir debout ». La maison sous les eaux, prime opus de Facteurs Chevaux (Fabien Guidollet et Sammy Decoster, ce dernier étant l’auteur de l’album Tucumcari en 2009 et collaborateur du duo Verone), n’est pas disque à écouter au casque dans le métro, sauf à vouloir louper sa correspondance, à fuir intentionnellement le brouhaha, à conspuer NRJ, à tailler la route bien au-delà du RER A.
Autre monde, autre format, c’est une chanson quasi contemplative, douce, que même en montant le son on écoute en silence. Enregistrée loin, là-haut sur la montagne, en partie dans une église, là où l’air pur frotte les cordes des deux guitares et d’une autoharpe (jouée ici par Delphine Passant). Des cordes vocales aussi.
Forcément on parlera de folk, de folk-song, mais ça va plus loin encore en remontant le temps. Ça ne peut concerner les punks et les rockers que s’ils sont repentis, ça questionne notre écoute, comment nous recevons la musique, comment régler en nous la fréquence pour apprécier une telle et si insolite chanson dont les médias s’ingénuent à totalement nous déshabituer.
Une musique calme, calme. Des paroles chantées doucement, sans le moindre heurt. Qui toutes nous entretiennent d’un peu d’essentiel. Ici des renards, là des feuillages tremblant au vent qui est mauvais présage ; ici la scie qui scie la branche qui nous nourrit, le « résidu de limaille qui se prend pour une poussière d’étoile », ces fleurs « qui ne se coupent pas / car leur cœur sinon se flétrit », la neige, la pluie, la claire fontaine, la « route aux marronniers centenaires », le clocher de la vieille église qui carillonne, le grand if qui abrite la chouette… Et dans ce presque silence des voix et des cordes, des vers qui nous incitent, nous invitent à la réflexion. Car les corps et l’esprit hantent ces paysages, les traversent : l’homme, « divin déchet », n’est jamais loin, qui anime le côté sombre de vers parfois et à juste titre tourmentés : « Demain est-ce qu’on fera pareil / En égorgeant ceux qui nous gênent / Pour repeindre de sang le soleil ? »
Nous sommes loin du stress, de l’agitation. Pas de batterie ni d’électricité pour alimenter les instruments. Loin de tout. C’est un disque qui nous redonne l’envie de tout. De prendre, à pied, des chemins de traverse, des sentiers de montagne, de fredonner des mots simples, de rêver. Et de « voir au loin même quand tout s’effondre ».
Facteurs Chevaux, La maison sous les eaux, La Grange aux belles 2016. Le facebook de Facteurs Chevaux, c’est ici.
Commentaires récents