Avignon Off 2016. Chansons alunissantes
Duo Bonito dans « Chansons à risques », Théâtre La Luna, 21 juillet 2016,
Attention, chers enchantés ! Ne m’en veuillez pas trop si cet article est dithyrambique et que les « super » l’attifent : en cette chaude soirée du jeudi 21 juillet 2016, j’ai assisté à l’un des plus beaux spectacles qu’il m’ait jamais été donné d’entendre/voir. J’en suis encore sidéré…
Je connais Raquel Esteve Mora et Nicolas Bernard depuis belle lurette. Elle est intensément espagnole et lui cyclo-timidement français. Avec ses complices des Nouveaux Nez, depuis un bon quart de siècle, ce dernier a extirpé le clown du cirque pour lui faire arpenter les plateaux de théâtre aux quatre coins d’un monde qui tourne de moins en moins rond. Et si ce Duo Bonito ne va pas de soi (loin de là !), il est évident que ces deux-là s’aiment. Ils sèment et essaiment des graines de beauté qu’ils arrosent alternativement de leur poésie délicate et de leur folie dévaste actrice : en creusant leurs micro-sillons de façon bio et tics, ils font de l’happy-culture déraisonnée. Sans jamais pratiquer la politique de l’autre ruche. Car entre la chanteuse extravertie (sacrée fine mouche qui se prend pour l’abeille de Cadix dès qu’elle se met à frelonner) et le poly-instrumentiste réservé (qui foutrait le bourdon à une équipe de Laurent Rucher en goguette), ça vole bas (au sens propre comme au figuré) : je ne sais pas si leur relation SM est saine, mais en scène, elle fait mouche ! Et si ses piques à elle font notre miel à nous (taquine, elle lutine et butine sans repos), lui (triste cire) n’a de cesse de la faire briller, depuis son alvéole de bigre bas-art.
En effet, la première chose qui attire le regard du spectateur est un dispositif foutraque, indisposé à jardin sur le plateau. On a l’impression d’être dans le laboratoire expérimental d’un Géo Trouvetout bohème. Et, dès le début du spectacle, cette sensation va rapidement être confortée. De par son comportement autistique, l’homme est manifestement dans son monde à lui, son instrumentarium ressemblant à un bric-à-branque de chez Emmaüs.
Quant à elle, elle nous capte et nous captive d’emblée, dans sa capacité à attirer la lumière et notre attention. Parce que là, attention les yeux et les oreilles ! Quel abattage ! Elle volette d’un spectateur à l’autre, papillonne en vrombissant, fol âtre (brûlant de nous attirer et de nous attiser), sépare, pillant tout ce qu’elle approche, et bâtit, folle, un personnage vibrant et vibrionnant, qui nous entraîne sans que l’on puisse lui opposer quelque résistance que ce soit.
Mais, quand sa folie se pose pour nous reposer, le contraste est touchant. « Puis, elle rentre en écartant les bras, comme si elle rentrait pour la première fois. Puis, elle chante avec cette voix-là, comme disent les journaux qu’on ne remplace pas. Elle sourit avec ce sourire-là, qui n’appartient qu’à elle et que nous aimons tant. Maintenant, la chanteuse« surclasse avec classe l’apparence clownesque. De son accent espagnol chantant, elle nous convainc à la seconde même où son timbre de « chanteuse réaliste » nous caresse les oreilles. Et la magie de leur « vie en rose » opère. On ne s’est pas trompé de porte, finalement : on est bel et bien à La Luna, dans un spectacle de chansons.
Si elle est sur le devant de la scène, lui, en arrière-plan, compose, l’air de rien, un paysage sonore d’une délicate complexité (mais, toujours en adéquation avec le propos). Depuis, son antre de brocanteur d’antan, sa proposition est juste incroyable. Et on a beau le voir, on a vraiment du mal à croire que le p’tit bonhomme que l’on a en face de nous est capable de telles prouesses. En effet, cloîtré dans sa caverne instrumentale, il est en (dé)mesure de jouer de 5 instruments différents en même temps ! Un pied droit qui active un cochon rythmique, un pied gauche qui joue des basses chaloupées, une main droite activant le soufflet d’un orgue (sans une once de barbarie), pendant que la main gauche joue alternativement des congas et d’un mélodica que sa bouche alimente en air (dont il ne manque pas) : bref, une hallucinante performance technique qui n’empêche jamais la musicalité du propos. Pour ma part, je n’avais jamais vu ça ! Car, au-delà du morceau de bravoure, les arrangements ne vont pas de soi : ils sont recherchés et recréent véritablement les chansons connues des répertoires français et espagnols à une sauce ô combien singulière.
Mais, la quiétude de certaines mélopées -fort émouvantes- précède immanquablement une nouvelle tempête de la transe-périnéenne, qui repart de plus belle dans ses accès pleins d’excès. Et quel humour ! Vous aurez compris que l’antagonisme à parent des personnages participe complètement des codes de l’art clownesque. Mais, l’inventivité qui prévaut à tous les ingrédients de ce spectacle oh en coups-leurres les détourne et les entraîne sur des chemins de traverse. Le tout à un rythme effréné : c’en est presque trop ! Et ce sera là le seul (petit) grief de ce panégyrique : en effet, certaines idées sont tellement formidables, certaines images si frappantes et certains moments si émouvants qu’on aurait aimé voir le temps suspendre son vol afin de pouvoir plus les apprécier et mieux les goûter. Mais, non ! On est à peine en train de savourer l’instant, qu’une nouvelle salve de rires d’un public impressionné par la performance et conquis par la proposition nous entraîne irrésistiblement dans la sarabande de ces deux artistes de haut-vol.
Vous aurez compris à quel point j’ai admiré ce spectacle inouï, d’un genre unique. Les univers cinématographiques contenus dans ce numéro de music-hall, qui jongle avec la chanson, le théâtre, le cirque, le one-man show, le concert et mille autres modes d’expression artistique nous font passer, à 2000 à l’heure, des Marx Brothers à Pedro Almodovar, en évoquant Pierre Étaix et Jacques Tati, faisant parfois songer à Tod Browning ou à Cecil B. DeMille, avec une maestria digne des numéros légendaires de la piste aux étoiles. Et la fin (que je ne vous dévoilerai sous aucun prétexte, même sous la menace d’un concert de Vianney) est d’une créativité et d’une poésie à l’aune des génies que je viens de citer. Quand le soleil a ainsi rendez-vous avec la Luna, un seul mot d’ordre : courez-y ! Et que les programmateurs de festivals chanson qui lisent ces lignes les invitent à tout prix ! Vous me direz merci plus tard…
Théâtre La Luna, 1 rue Séverine. Tous les jours à 22H30, jusqu’au 28 juillet inclus (relâche le 25). Réservations au 04 90 86 96 28
du grand Franck Halimi; on ne sait qui est le plus grand…le spectacle, les 2 artistes, le journaliste…Franck a été sublimé par ce qu’il a vu et entendu..déjà qu’en temps normal il est trop fort…là, j’ai parfois du mal à suivre…c’est du 100 % bio Halimi, et 100 % bio, ça perturbe notre corps nourri aux pesticides