Qui va aux Francos de Spa ?
Les lecteurs de NosEnchanteurs fréquentent-ils les festivals ? Bien sûr, on peut certainement compter parmi eux nombre d’aficionados de Barjac, les tenants de la chanson de paroles et négligents de la chanson de musiques, que l’on sait à l’affût des rares sources d’information sur cet art précieux pour le moins délaissé des grands médias. Probablement avons-nous aussi dans nos fidèles suiveurs les amateurs de « festivals qui n’existent pas », pour reprendre l’intitulé d’une ancienne saine humeur de Michel Kemper. Mais quid des autres ?
Aussi, fort d’une expérience de 22 années de fréquentation (depuis leur origine, en fait !) des Francofolies de Spa, grosse machine guerrière en matière chansonnesque, il me semble opportun de vous livrer ici, pour votre édification, les bonnes raisons d’aller dans les gros festivals commerciaux, ainsi que, pour faire bonne mesure, les tout aussi bonnes raisons de les fuir comme la peste.
1ère raison de fuir : le monde !
C’est généralement le premier argument soulevé : la foule ! Trop de monde, définitivement trop. Qui plus est, un public trop rarement concerné et terriblement bruyant, qui vient avant tout pour faire la fête entre potes en se souciant fort peu des artistes qui se succèdent sur la scène.
2ème raison de fuir : les conditions d’écoute et de vision
Vas-y qu’on te met la sono à fond, de manière à transformer la moindre mélodie en bouillie sonore et à rendre définitivement inaudibles les paroles éructées par le chanteur (déjà qu’il n’articule pas bien…). Et en plus, t’es le plus souvent debout et à tous les coups, t’as un basketteur de 2m50 qui va venir se placer devant toi et tu seras de la revue pour entrapercevoir ne fût-ce qu’un bout du chapeau de la vedette.
3ème raison de fuir : la programmation
Ces grosses machines, ça ne programme que des chanteurs commerciaux ratissant large, du tout-venant, des qui ne visent qu’à jouer fort en faisant danser le public. Peu de réelles découvertes si elles n’ont pas été préalablement adoubées par une major de l’industrie musicale.
De plus, la chanson est de moins en moins mise à l’honneur, délaissée qu’elle est au profit de groupes de rock « qui mettent de l’ambiance ».
4ème raison de fuir : la météo
En plus, il pleut tout le temps aux festivals !
Soyons justes, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître le bien-fondé de nombre de ces arguments. Comment expliquer toutefois que l’on puisse aussi prendre du plaisir à frayer dans de tels lieux de débauche ?
1ère raison de venir : l’ambiance
Évidemment qu’un gros festival attire la grande foule, il ne serait pas gros sans cela ! Et le corolaire à ce succès de masse est qu’il attire nombre de curieux pour lesquels la chanson n’est qu’un prétexte à retrouvailles arrosées. C’est une évidence et une gêne indéniable. Mais c’est aussi ce qui fait le prix d’un tel endroit. On ne va pas en festival pour écouter religieusement de la musique (ou alors, on se limite aux petites scènes programmées en intérieur, quand il y en a encore !). Si l’on décide de s’en tenir aux grandes scènes en plein air, on sait qu’il y aura du monde et que le public sera criard et dissipé, mais on se doute aussi qu’on rencontrera toujours bien l’une ou l’autre connaissance et que si l’artiste n’est pas génial, on s’en consolera en éclusant un godet avec son pote de passage. Nous sommes loin de la rencontre artistique qui élève l’âme, me direz-vous ? Ben oui, mais un festival, étymologiquement parlant, c’est un lieu de fêtes, non ?
2èmeraison de venir : la programmation
Pour tenir le coup, un festival se doit d’attirer les grosses pointures, en principe garantes de retombées financières et médiatiques. Faut-il forcément le regretter si l’on pense que j’ai déjà pu acclamer à Spa des artistes aussi divers et de qualité que Souchon, Renaud, Sheller, Lavilliers, Cabrel, Bashung, Salvador, Reggiani…
Les seconds couteaux ne sont d’ailleurs pas en reste et j’ai ainsi applaudi jadis nombre de vedettes actuelles faisant leurs armes avec leur premiers albums (je me souviens avoir ainsi vu les débuts d’un Pascal Obispo, d’une Zazie ou d’un Thomas Fersen). A chacun de piocher dans le pléthorique programme pour y découvrir ceux et celles qui seront les stars de demain.
3ème raison de venir : la découverte
Comme expliqué au point précédent, un festival est – en principe – un bel endroit pour découvrir les jeunes pousses amenées à devenir des belles plantes à leur maturité. On ne peut évidemment que regretter le manque d’audace dont les Francos de Spa font preuve depuis quelques années : sauf très rares exceptions (comme Giédré, encore à l’affiche cette année) et hormis une programmation très fournie en chanteurs et groupes de rock belge (pas qu’ils sont meilleurs que les autres, ils coûtent surtout moins cher et justifient les subventions !), aucun espoir de passage pour un artiste français non soutenu par une grosse firme de disque ! Qu’il me semble loin le temps où on me donnait l’occasion d’applaudir Pascal Matthieu (vu en première partie d’Elsa, ça ne s’invente pas !), Kent, Benoît Dorémus, Yves Jamait ou Romain Didier… La suppression au fil du temps des petites scènes qui permettaient la programmation d’artistes plus fragiles n’a en rien arrangé les choses, ne laissant la place qu’aux grands espaces découverts squattés par des groupes jouant fort pour permettre aux jeunes de pogoter entre eux !
Mais il n’y a pas que les inconnus qu’un festival permet de découvrir ! Avec leur politique d’abonnement et de scène partagée, les Francos de Spa m’ont donné l’occasion d’assister à des spectacles de chanteurs « installés » que je n’aurais probablement jamais été voir en des circonstances normales. Sans les Francos, aurais-je un jour payé une place pour applaudir, par exemple, Patrick Bruel, Indochine, Patricia Kaas ou Véronique Sanson ? Car oui, on peut découvrir aussi une vedette sur scène, au même titre qu’un chanteur débutant, et se rendre compte de sa réelle valeur artistique, sans avoir une vision trop faussée par le brouhaha médiatique qui l’entoure parfois.
4ème raison de venir : le soleil
Bien plus que la qualité des artistes programmés, c’est le temps qu’il aura fait qui déterminera le degré de réussite finale du festival. J’ai vu bien des soirées qui s’annonçaient d’enfer se révéler déplorables à l’arrivée pour cause de pluie venue gâcher la fête.
Mais je peux vous dire que quand le soleil décide d’être de la partie, la pêche et la banane envahissent les étals des spectateurs. Surtout que les jolies jeunes filles rivalisent alors d’ambition entre elles pour se voir décerner le grand prix du short le plus mini et du tee-shirt le plus moulant. Soyez sûrs que cela console de la médiocrité de bien de concerts !!!
Vous l’aurez compris : un festival est un endroit où il y a à boire et à manger (au sens propre aussi, d’ailleurs !). J’ai vécu aux Francos de Spa de très beaux moments et quelques soirées magiques, pu y découvrir sur scène nombre d’artistes (connus ou débutants), subi aussi un bon paquet de concerts sans intérêt, voire catastrophiques… Il faut croire que la balance reste positive pour que je persiste à y retourner à chaque nouvelle édition, même si la qualité de l’affiche proposée diminue d’année en année, en parallèle avec le budget du festival. Comme partout, la chanson devient le parent pauvre, de plus en plus écartée au profit du rock (en anglais, of course !) et de la musique électro. La version 2016, sur papier, ne s’annonce d’ailleurs guère réjouissante. Qu’en sera-t-il au final ? Rendez-vous pour l’autopsie quotidienne dans NosEnchanteurs.
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