Blanzat 2016 : Servat, ce qu’on aime vivre avec
Volonté ou non de prolonger la nuit, on a tous quelque chose en nous de celte, ce désir fou d’y trouver des racines à l’ombre des pierres levés ou dans les souvenirs d’une lointaine Brocéliande. On a tous en nous quelque chose de Gilles Servat, ce barde dont la voix gronde depuis des décennies, depuis ses Prolétaires du début des années soixante-dix. Il y a de ses chansons à lui qui, même à son insu, se perdent dans la nuit des temps, qu’elles éclairent de leurs yeux d’hirondelle « blanche au ventre et noire aux ailes » ou d’hermine, toute aussi blanche et noire, comme l’est le drapeau breton.
Les tempes de Servat sont devenues blanches, son chant et ses colères se sont apaisés, encore que. Lui vient d’actualiser Les prolétaires : la version 2016 ressemble à la France d’aujourd’hui, son état d’urgence et ses uniformes pour maintenir l’ordre… Je doute qu’on y embrasse des flics.
On ne saurait concevoir Gilles Servat sans quelques chansons qui font sa légende, son histoire, encore qu’il y en a tant que forcément il en manque. L’hirondelle et l’hermine certes. Les moulins de Guérande, La route de Kemper, Je vous emporte dans mon cœur, La maison d’Irlande… « Chérissons les instants qui se meurent aussitôt / Et qu’on ne reverra plus jamais… » Le propos est mélancolique, d’une infinie beauté, d’une douceur qui tranche avec, si on s’en souvient, ses débuts de chanteur où son propos était souvent colère, violence, rythmé de solides percussions.
Des titres incontournables, certes, mais Servat n’est pas écomusée. Les chansons que nous ne connaissons pas forcément viennent de son plus récent album, comme celle en hommage à sa femme, prétexte à revisiter les années soixante, de l’OAS au franc Pinay, de la deudeuche à l’arrivée du rock. Comme cette autre, C’est ça qu’on aime vivre avec, qui nous vaut long préambule en forme de lexique : déluge de mots bretons illustrés par l’exemple, un peu comme Le Breton pour les nuls que nous sommes, dont nous retiendrons au moins le vocabulaire de l’ivresse, du lambig à la betterave, des oreilles de bonhomme au chichtraoueg… Je dis ivresse, car les mots et mélodies de Gilles Servat procurent cette douce ivresse, ce bonheur qui bien après le concert est encore un nous, résonnant de ses refrains, tournant dans nos têtes comme le moulin de la chanson : « Par-dessus le manteau d’Arlequin / Où les oeillets se fendent / Sous le sol de Saint-Guénolé / Tournez, tournes les ailes du moulin de Guérande / Sur les grains de mes jours envolés… »
Ni bombarde, ni cornemuse ni violon, là, c’est guitares (Gilles Servat et Patrick Audouin), clavier et accordéon (Philippe Turbin), formule réduite qui, malgré son ingéniosité, peine à restituer les accents celtes, « trad’ », qu’on attend de ces chansons, instruments qui parfois se mal marient. Mais formule qui, un peu éloignée de ses traces bretonnes, inscrivent de plain pied ces chansons dans le répertoire de la chanson, dans ce qu’elle a fait de meilleur.
A l’approche du 100e anniversaire de la naissance de Ferré, Alain Vannaire, le programmateur de ces Rencontres Marc-Robine, a demandé à chacun des artistes d’en chanter une de l’anar monégasque. Ce fut émouvant d’entendre le Comme à Ostende, de Caussimon et Ferré, dans la bouche de notre breton. Comme un présent rare, unique.
Le site de Gilles Servat, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs à déjà dit de lui, c’est là.
Le site de Sandrine Cabadi, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs à déjà dit d’elle, c’est là.
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