Jérémie Bossone : ceci n’est pas un album
…encore moins deux, mais une compilation de titres hétéroclites, vraies chansons, en grand nombre dans le premier enregistrement, ou impressions musicales, beaucoup de titres d’une minute voire de quelques secondes, prétexte à essais musicaux comme verbaux, maquettées au fur et à mesure de sessions de créations. Une sorte d’histoire de la création d’un album, avant que les chansons heureuses élues ne s’assemblent en un tout cohérent. Un cadeau qu’il nous fait entre deux albums, pour « noyer la connerie » d’une « immense vague de chansons. »
Ceci n’est pas non plus un article, plutôt une série d’impressions, de réflexions, d’enthousiasmes, de questionnements, à l’écoute de cette confession d’artiste. Il y faut de l’humilité, mais en même temps de la confiance en soi, pour présenter ainsi ces pièces brutes de découpages, guitares nues, voix qui pleure ou qui berce, bienvenue dans l’atelier du charpentier comme dit Bossone.
Avec Jérémie, l’auditeur/trice est vite atteint d’un Syndrome de Stockholm, séduit par cet étrange/inclassable garçon qui vous enlève dans un bouquet de chansons alternativement tendres ou vénéneuses, provocatrices, presque violentes, sexuelles, d’un romantisme noir ou même… drôles.
Les assoiffés de tendresse trouveront notamment dans le premier volume leur content de douceur, de nostalgie de l’enfance ou du temps qui passe : Le soleil et moi où caresse la voix et frise la guitare, La page blanche, qui est le pendant plein d’espoir de la Tombe par la voix et le rythme entêtant « Tuez la page blanche pour peindre un grand tableau (…) pour dire on a su vivre », La tour des supplices de l’absence ou de la jalousie, ce 16h17 « chapeau noir et blanc tailleur » où une femme quitte tout pour un ailleurs, le monde qui lentement s’éteint Sous les ormes, courte mais prenante chanson, le leitmotiv entêtant de la chanson phrase Les ombres qui permet des recherches musicales. Bossone, pourquoi t’écris ? du mixtapes 2 répond à La page blanche du 1 ou au Rien à dire de l’album Gloires.
Comme Brassens, le chanteur à la mauvaise réputation, fort référent aux dames d’antan, Bossone a un faible pour ces poètes-voyous depuis Villon jusqu’à Lacenaire, Frangins de Montfaucon, malandrins et coquillards, bandits de grands chemins et pour les (gentilles) salopes ou les tapins généreuses. Il a comme lui l’amour des mots rares, musicaux, anciens, les références littéraires (Ésope, Sénèque, Molière, Chateaubriand, Mallarmé, Henry James, Robert Stevenson, Proust…), historiques (la reine Margot, Aramis, François Ier, Charles Quint), musicales : cette ode à Hugo Wolf, musicien romantique allemand au destin trop vite accompli (1). Son Émile toujours content est le cousin de Pauvre Martin, et son pendant juvénile rêvant de son avenir s’appelle Tom, qui attend sur son banc.
Si la musique ou les thèmes font parfois penser au répertoire traditionnel, de même que Brassens a des tendances jazz, Bossone marie ses ballades au rock, avec plus d’audace encore, osant effets sonores et vocaux et ruptures de rythmes. Pas de vaine coïncidence, même réticence à chanter engagé (malgré une très belle Marche dans un champ où il convoque Rousseau, Voltaire, Danton et Robespierre ; ou une diatribe des « connards au soleil » de Cannes) : il préfère chanter universel, et puis Le croque-notes est empêché par son chat…
Le premier opus (19 titres, dont 17 vraies chansons) pourrait facilement se concrétiser, quant au second, 24 titres dont plus de la moitié peuvent être qualifiées de chansons, il ouvre des pistes, un album « Érotiques », ou pourquoi pas, en puisant dans les deux, un « Drôle de jeux ».
On y découvre en effet un Bossone plein d’un humour auquel il ne nous avait pas habitués, usant en virtuose de jeux de mots, d’allitérations et d’onomatopées. La vie y est un mésocarpe, pulpeuse comme un fruit, mais où les quatre as ne sont jamais dans le même poker ; où tout est préférable à faire un score minable… au Scrabble. On y trouve des amours difficiles qui merdent, des amours à mer et amers, un Fromage qui rencontre Molière, un qui gerbe sa bière, un flamenco qui rime avec Benco, un moulin qui, par glissement sémantique devient mixeur pour transformer Don Quichotte en steak haché, ou la Chanson d’un cul cassé « vaincu en sautant putain c’est ouf, à saute-mouton sur un pouf. »
Summum dans cette chanson de près de 5 minutes de l’opus 1, très rythmée, trad’ et moderne, métaphore filée, stellaire et très chaude où la coquette rime avec (cherchez la rime), la salope avec Le télescope, fait chuter Newton mais finit en « soleil de [son] univers » !
(1) Notons que les Wolf (les loups), c’est aussi le nom de son équipe, et que l’opus n°2 finit par un fort joli Loup-nénuphar.
Jérémie Bossone, Mixtapes 1 (décembre 2013-janvier 2014) et 2 (avril-mai 2015) vendus en pré-commandes sur son site ou en mp sur sa page facebook. Il en reste peut-être de cette période, il y en aura d’autres, postérieures. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Jérémie Bossone, c’est ici.
Je partage totalement l’enthousiasme de Catherine.
Une étape de travail plus qu’un album avec en évidence le talent nu, incomparable de Jérémie qui semble jaillir du bois brut comme une scuplture fascinante.
Le genre de réalisation artistique qui ne passera plus sur France-Inter, mais que les amateurs de chanson sauront découvrir comme un joyau rare.
Quelques finitions dans l’habillage mélodique et rythmique, par exemple, et l’album « présentable » n’est pas loin. On exploite aujourd’hui les brouillons de Ferré ou de Brassens, comme pour entrer davantage dans leur intimité. Avec Bossone, on inverse le processus : il nous offre, en confiance, ses ébauches, comme une main tendue fraternellement : Venez prendre un café, faites pas attention au ménage !
C’est tellement plus sain !