Taparole est d’or [2/2]
À peine remis de nos libations émotions de la veille, nos pas nous ramènent sans barguigner vers cette île aux chanteurs, vers cette parenthèse enchantée, vers cette belle kermesse héroïque qu’est le festival Taparole. Le ciel est encore aussi menaçant qu’un article 49.3, mais la convivialité n’est pas un vain mot en ces lieux et la chaleur humaine reprend très vite le dessus sur la météo quasi britannique, ce qui n’est pas rien en cette période de déliquescence européenne… Les divers stands, bars et chapiteaux sont là pour redémarrer la journée en douceur, dans la douce odeur de la paille jonchant le sol détrempé pour tenter de voiler un peu les stigmates des orages de la veille. Autour de la popote, ça papote entre potes tout en refaisant un peu le monde qui, convenons en de concert, en a tout de même bien besoin.
Nous attaquons les délicieuses hostilités avec le magnifique hommage que JeHaN et Lionel Suarez rendent à l’immarcescible Allain Leprest. C’est peu de dire que JeHaN chante Leprest, il le détecte, il s’en humecte, il s’en délecte, nous faisant partager le plaisir intact des mots qui roulent dans la bouche comme les galets charriés par un torrent impétueux. Sa belle voix grave et rocailleuse est au service des titres qui s’égrènent comme autant de fleurons non mouchetés : Je ne te salue pas, Rue Blondin, C’est peut-être… JeHaN en scène, c’est l’émotion à l’état pur, c’est un Dom Juan des mots qui ferait sienne la stature du commandeur. À ses côtés, l’inamovible Suarez, accordéoniste ni aveugle, ni manchot, fait sonner sa boite à frissons comme les fastueuses orgues d’une cathédrale de notes, les doigts virevoltant sur les boutons nacrés, le soufflet s’époumonant à qui mieux mieux pour une relecture proprement bouleversante du répertoire de l’Allain. Pour faire bonne figure, les deux comparses nous gratifient d’un superbe inédit, ainsi que de quelques titres de Dimey, dont le très poignant J’aimerais tant savoir.
La petite pause est salutaire pour reprendre une bière nos esprits et s’apercevoir que les camarades-chantistes présents aujourd’hui suffiraient à eux seuls à faire une journée de festival supplémentaire (en vrac, pour nos amis des RG nombreux à lire ces lignes : Batlik, Clio, Sarclo, Askehoug, Pierre Bachelet, Lily Lucas, Bacchus, Liz Van Deuq, que du beau monde, quoi…). Ah, on me souffle dans l’oreillette qu’un des noms serait erroné, c’est possible, un instant, je vérifie…. Ah, effectivement, Askehoug semble avoir fait un passage, mais sa présence n’est pas confirmée par nos services, il ne nous en voudra pas…
C’est au sympathique toulousain Chouf que revient le délicat honneur de prendre la suite sur scène, mission dont il va se sortir avec un brio des plus communicatifs. Le gaillard, fort efficacement entouré (guitares éclectiques/basse/batterie/claviers, plus une section de cuivres qui dépote), vient nous présenter, entre autres, son quatrième album Volatils, empreints de textes forts et impliqués sur la condition fragile de l’humain au sein de la société telle qu’elle est et telle qu’elle devient… La fragilité de la destinée humaine fait ainsi écho de belle façon à la faconde et au franc-parler de l’énergumène, mais le propos parfois noir n’est nullement plombé, porté qu’il est par une énergie palpable et communicative, ainsi qu’une chaleureuse bonne humeur, quelque part entre les Têtes Raides et Manu Galure. Les musiques ne sont pas en reste, avec une belle alternance de ballades désabusées et de brûlots rock plus pêchus, les guitares, façon Stray Cats, balançant de farouches coup de pattes félins tout riffs dehors. Sur un titre plus lent, une trompette aquatique à la Calexico s’élève et vient griffer doucement nos cœurs de sa mélancolie cuivrée. Et puis, et puis, toute la salle s’enflamme sur le fédérateur et, n’en doutons pas, prémonitoire Ça va péter ! De la belle ouvrage, assurément.
C’est à la Rue Ketanou que revient de clôturer cette belle édition de Taparole : comme ils le répètent à l’envie depuis tant et tant d’années : c’est pas nous qui sommes à la rue, c’est la Rue Ketanou !!! Florent Vintrigner, Mourad Musset et Olivier Leite, trio indompté et sans fards, fait sur scène la part belle à une poésie du quotidien empreinte d’humanisme et se donnent sans compter avec une rare générosité. D’autant que, tout comme pour le concert de Chouf, les sièges de la salle ont laissé place à une fosse rapidement investie par une foule en liesse, communiant dans une véritable fournaise humaine, sautant dans tous les sens, renversant les bières tièdes (sacrilège !) et entonnant en chœur les refrains du groupe qui, pour beaucoup, a bercé leur adolescence… En modernes troubadours, dans la droite ligne de Tryo ou des Ogres de Barback, la Rue Ket’ ne réinvente certes rien, mais reste fidèle à ce qui a fait son succès, entre gouaille, grande liberté de ton et critique sociale jamais gratuite…
Après une bonne quinzaine d’activité, plus que jamais, y’a des cigales dans la fourmilière ! La première goulée d’air frais à l’issue du concert a le goût délicieusement frais des amours enfantines (souvenez-vous !). Dans la cour à ciel ouvert, les guirlandes lumineuses n’attendaient que la tombée de la nuit pour rajouter leurs étoiles multicolores au ciel de Montreuil. La soirée se poursuivra longtemps encore à discourir sur les beaux moments passés et à venir. Mais, vous le savez, chers Enlecteurs, demain est un autre jour.
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