Taparole est d’or [1/2]
Rien n’y fait… On a beau connaitre par cœur les raccourcis et les correspondan- ces des méandres du métro parisien, quand on est retenu par le boulot (un samedi, oui !) et qu’un chouette festival commence un peu tôt dans l’après-midi, fatalement on rate des concerts et, fatalement, ceux que l’on aurait précisément ratés pour rien au monde… Ce fut donc le cas pour celui de Clio, que nous suivons depuis ses tout débuts avec une attention des plus bienveillantes. Petit travail sur la frustration, donc, d’autant plus que les retours des heureux spectateurs présents étaient au-delà du laudatif. Clio, une affaire à suivre de très près !
Quoi qu’il en soit, quel plaisir de retrouver cette année encore le Festival Taparole et son chaleureux petit village planétaire, ses bénévoles efficaces autant que souriants (petit clin d’œil à toi, à toi et à toi aussi…), ses spectateurs sachant spectater, le tout sous les ombres tutélaires réunies d’Armand Gatti et de George Méliès qui donnèrent leurs lettres de noblesse à ce bien bel endroit. Quel beau parrainage ! D’autant que le devenir de cet endroit mythique qu’est la Parole Errante est des plus incertains en ces jours troublés…
Fidèle au poste, l’indéboulonnable dessinateur Bauer fait ses traits, imperturbable à l’agitation autour de lui, et nous délivre de précieux témoignages dessinés sur les concerts et les coulisse du festival. La bande-son-dessinée de Taparole, en quelque sorte…
Un petit partage rien que pour vous, chers Enlecteurs, un tag saisi à la volée sur les murs des toilettes, et qui pourrait à lui seul être la profession de voix du festival Taparole : « Tout le monde est différent, sauf moi… »
Autre instantané saisi sur le vif dans la cour extérieure, parmi la myriade de bénévoles s’affairant à restaurer et à désaltérer les festivaliers, une jeune chanteuse des plus prometteuses s’affaire derrière ses crêpières fumantes semblant les platines jumelles d’un DJ qui inaugurerait une coiffure du même blond platine…
Précipités à l’abri des bâtiments par les trombes d’eau d’une pernicieuse averse quasi-tropicale, nous tombons nez à cordes avec rien moins qu’un orchestre symphonique convoquant la mémoire du Grand Mamamouchi cher à Jean-Baptiste, par la grâce baroque’n’roll d’une Marche pour la cérémonie des Turcs d’un tout autre Jean-Baptiste. Renseignement pris auprès d’une fort accorte violoniste (que j’en profite pour saluer ici-bas), il s’agit là de l’orchestre OPPERA (Orchestre des Personnels, Parents et Élèves Réunis en Association), de forts sympathiques activistes culturels tout terrains réunissant amateurs et professionnels pour porter la bonne parole musique là ou on s’y attend le moins. Tout à fait dans l’esprit Taparole, quoi.
Un peu plus loin, des stands de livres et, entre un Manuel du guérillero urbain et un ouvrage sur la décroissance, nous tombons sur nos éminents collègues d’Hexagone présentant, avec une légitime fierté, le numéro zéro de leur future revue (un mook, en fait, comme il se murmure dans les milieux autorisés…) dont le numéro 1 est prévu en septembre. Une initiative courageuse et un bien bel objet à la roborative foisonnance dont nous aurons l’occasion de vous reparler, n’en doutons pas…
Mais quid des concerts me direz-vous, chers Enlecteurs curieux-zé-latinistes distingués.. ?
Eh bien, c’est la sémillante L., ayant repris son patronyme complet Raphaele Lannadere qui se présente sur scène dans une formule claviers/violoncelle/batterie de fort bon aloi, ainsi que dans une pimpante robe (f)estivale parsemée de coquelicots pour mieux exorciser la météo aqueuse. Chanteuse shaman charmeuse, les titres s’enchaînent, litanies désincarnées aux pulsions existentielles et organiques, parfumés d’un discret petit virage électro, troublant trip-hop hype hypnotique… Entre un bel hommage à la regrettée Lhassa et un reprise de Jalouse issue de son premier album, les loops se font entêtants et les boucles sonores envoûtantes en un savant déséquilibre pétri de vertiges. Sur le troublant J’accélère (« j’t’aime mieux quand t’es pas là »…) se dessine en filigrane un écho éthéré à la Marcia martienne de Nougaro. Et puis, soudain, sur un titre plus lent, un long solo de violoncelle comme une éclipse durant l’apocalypse… Soyons honnête (une fois n’est pas coutume.. !), une certaine partie du public n’est visiblement pas tombé sous le charme et restait circonspect après ce set. N’est ce pas finalement le propre des artistes que de ne pouvoir plaire à tout le monde.. ?
Changement de programme et d’ambiance ensuite avec les très attendus Sages comme des sauvages (quel beau nom de groupe, vous ne trouvez pas ?). Ils sont deux en scène, assis presque sagement, donc, et pourtant, Ava Carrère et Ismaël Colombani donnent l’impression de déployer toute une cérémonie païenne ancestrale et très moderne à la fois, sobre et très efficace. Armés d’un bouzouki et d’un tambourin, costume gris anthracite et borsalino agrémenté d’une plume pour lui, robe colorée et superbe coiffure ethnique pour elle, tous deux le visage pareillement agrémentés d’un masque rouge peint à même la peau, leur deux voix se marient parfaitement en demi-tons funambules sur un agréable folk d’outre-mer coloré de maloya. Le titre emblématique Mon Commandant est la démonstration parfaite que l’on peut faire un morceau redoutablement efficace sur un riff simplissime de ukulélé et de tambourin. Sa voix à elle est d’une belle limpidité, sa voix à lui est un poil délicieusement éraillée, et l’on se surprend à penser que la Réunion est décidément un bien joli mot de la langue française… Ça tourne du feu de Dieu, comme les pales d’une éolienne folle plantée au beau milieu du Pacifique, comme la B.O idéale de la case de l’oncle Dom-Tom, le genre de mélopées mélodieuses qui font à l’âme des bleus outre-mer… En rappel, un bel hymne à une salutaire révolte, calqué sur la Peinture à l’huile de Boby Lapointe, et un grand moment de communion entre la scène et la salle.
Nous restons dans une chouette ambiance « chansons du monde », avec le concert de Féloche, qui nous avait déjà, souvenez-vous, enflammés lors d’une récente édition de la Fête de l’Huma… Féloche en scène, c’est un tourbillon virevoltant sur-vitaminé, un gentil démon sautillant, masquant à grand peine une sorte de faune lubrique au charme presque animal… Quoi ? De quoi ? Je m’emballe ? Ah oui, pardon ! Vêtu d’une queue-de-pie très classe porté avec un jeans et des baskets, arborant une brochette de décorations d’opérette, l’animal est bien le digne rejeton du génial et regretté Hugues Le Bars (précipitez-vous sur ses disques si vous avez la chance de ne le point connaitre encore…). En arc de cercle autour de lui, son petit orchestre composé d’une guitare, une contrebasse, d’une mandole et de deux mandolines donne à l’ensemble une agréable couleur musicale aigrelette, pour ne pas dire, hommage et dessert, un petit côté transe napolitaine revisitée par la fougue karmique et carpatique d’un Goran Bregovic…
C’est peu de vous dire que le retour à la réalité fut rude à l’issue du concert ! Dans les ruelles environnantes, le ciel est devenu étrangement limpide, comme lavé par les orages et les ondées lustrales. Quelque part dans le lointain, on perçoit les grondements incongrus d’un feu d’artifice inattendu, célébrant la magie de cieux sans cesse renouvelés à l’instar de nos émotions. En sera-t-il seulement de même durant le dernier jour du festival ? Demain est un autre jour…
Féloche de 52: à 1:35 dans au Pont des artistes d’Isabelle Dhordain au Triton (avec La Maison Tellier et Sanseverino) : https://www.youtube.com/watch?v=18g97-N_-a0
Rétrolien 2015-2016 | OPPERA Orchestre Symphonique