Dick Annegarn préfère la route qui tourne
Le Petit Duc à Aix-en-Provence, 28 mai 2016, clôture de saison,
Dick Annegarn nous dit regretter l’absence de ses musiciens, mais nous pas vraiment, cela nous a donné l’occasion d’admirer les multiples talents de l’artiste. Nous avons navigué dans son piano avec des improvisations jazz, ou de sombres dissonances (Ah! Cette « ombre dans le casino sombre »), suivi la guitare, l’harmonica, ce phrasé inimitable néerlando-belgo-français reconnaissable entre tous (je ne vous ferai pas l’affront de vous le décrire). Bon, allez, puisque vous y tenez. Un léger roulement de r imperceptible, un u qui se transforme en hurlement de loup, une façon de mâcher ses mots pour nous les distribuer déjà tout digérés, tout doux, tout piquants aussi, des manières d’ours bien léché. Des consonnes qui sonnent avec, et des voyelles qui s’affranchissent !
Dick raconte nos questionnements, Qui sommes-nous : « Dans quel panneau / Sous quel drapeau / Tomberons-nous ? » et l’histoire du monde, depuis « Bientôt quatre milliards et six cents millions d’années(…) Devine des stipes / Devine des prêles (…) Des nautiloïdes ichtyosaures / Aux poïkilothermes diplodocus » et même des histoires pas très catholiques, celles d’un livre écrit par des illettrés et re-verbés par des apôtres qui n’étaient pas forcément témoins de l’affaire. L’histoire iconoclaste d’un Jésus un peu arabe et juif et catholique, Ô mon doux Jésus que ma joie demeure, Jésus crie et la caravane passe.
Il transcende blessures intimes ou d’amour-propre en un humour qui suffirait à lui seul à créer un spectacle. L’éclipse subie pendant une dizaine d’années lorsqu’il a cherché à s’affranchir des circuits commerciaux a laissé ses traces, même s’il en a profité pour voyager tant en Berbérie marocaine, rapportant amitiés et musiques à sept rythmes, qu’en Pays khmer ou en Europe de l’Est. La rudesse du pays magyar lui a inspiré cette fulgurante biographie du poète « au verbe bref » Attila Jozsef. Aux États Unis aussi, d’où viennent ces standards folks « House Of The Risin’ Sun », maison de plaisir que d’aucuns ont transformé en Pénitencier, ou O what a beautiful city de Pete Seeger chantant Jérusalem.
Réfractaire aux formatages et autres idées toutes faites, aux gauchistes comme aux va-t’en guerre, aux racistes oublieux des tirailleurs chleuhs (berbères) : « Il était marocain et parlait allemand / Tirailleur retraité de l’armée française / Il vivait replié face à l’océan (…) Demandait ni l’aumône ni reconnaissance / Pour les années passées à servir la France », sa liberté est aussi celle du verbe. S’affranchissant de toutes les règles en poésie, osant néologismes et paronomases les plus hardies : «Quelle belle vallée avec ses digues et ses bateaux / Avec ses zigues et ses autos zozos / Quelle belle vallée avec ses ponts et ses chaussées / Avec ses ronds et ses carrés carrément » ou encore « Dans le puits du Puy de Dôme vit un homme dans un œuf / Il cultive des chromosomes déjà môme il était veuf », il nous illumine ainsi d’images des plus jouissives et évocatrices. Tel Arno, Higelin, ou, avant eux, Trenet, il y a matière sous le délire apparent « Et au fur et à mesure que le chant avance / La faune et la flore et les métaphores / Entrent en transcendance en transformation ».
Le public ( la salle complète était réservée dès octobre 2015 !) commente, joue les beatbox, fait chorus ( à deux voix s’il vous plaît), apprécie les souvenirs aixois. Applaudit les chansons des débuts, Bébé éléphant ou l’incontournable Mireille, mouche apprivoisée mais peu chanceuse, et passant par le grand Jacques (faisant partie de la famille des brelles) pour lequel le paradis est « un pays bien trop petit bégueule » ou la Chanson du vieux chanteur : «J’avais des amis plus que ne comptent mes doigts / De pieds aussi », parcourt les quarante ans de chanson jusqu’au dernier album, eau et piano mais pas de petit vélo.
Sous la métaphore climatique et végétale le rappel chanté a cappella, Même en hiver, avec une belle musicalité et une grande douceur, a une connotation toute sexuelle : « J’aime quand il pleut / J’aime quand il plie / J’aime quand il meurt dans mes yeux / J’aime quand il rit / Quand il sourit / J’aime quand il vit dans mon lit » (même s’il rajoute pudiquement « de la Garonne », nous ayant présenté la chanson comme « occitane »).
Sur le site de Dick Annegarn, vous trouverez une encyclopédie complète : tous ses CD et livres, la liste des chansons avec leurs paroles, les sept rythmes berbères, des partitions, son association de paroles. Ce que nous avons déjà dit de lui, c’est là.
La transformation, Toulouse, 2014
Piano dans l’eau, Le Cargo, 2014
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