Aubercail 2016 : le mieux 10 ans fraternel
Juste un piano noir, plongé dans la pénombre. Juste dix doigts posés sur le clavier. Juste Romain Didier, pas un chanteur, non, juste un homme qui chante.
Un tour de force que ce tour de chant… Imaginez, si vous ne l’avez déjà vu en scène, d’habiles et fluides transitions musicales vous donnant l’impression d’une seule et unique chanson, sans interruptions, sans applaudissements, sans respirations presque. De cet apnée (juvénile) découle imperceptiblement une tension, une attente, une écoute assez extraordinaire qui rapidement s’affranchit des carcans et des formats pour toucher à quelque chose de l’ordre de la grâce, du recueillement païen, presque, comme une sorte d’hypnose auditive qui nous laverait l’âme de son aura lustrale… On touche peut-être bien là à l’ADN même de la chanson, une espèce d’universalité qui dépasse et transcende les clivages du format et les modes d’expression. Ainsi, les mélodies, les mélopées presque incantatoires, tel un karma désincarné, nous renverraient rien moins qu’à l’essence même de l’humain, ce qui n’est pas une mince affaire en ces temps de disette de carburants divers… Alors, honnêtement… Honnêtement, j’aurais mauvaise grâce (et ce n’est pas une crise de flemmingite aigüe !) à rajouter ne serait-ce qu’un mot, une virgule, à l’excellentissime article que signa l’été dernier notre non moins excellente consœur Catherine Laugier lors du off d’Avignon, festival lors duquel ce Romain Didier super offrit ce magnifique récital Dans ce piano noir. C’est pourquoi avec son autorisation (c’est une image, je ne lui ai même pas demandé !), je vous enjoins à retrouver ce papier ICI, d’un simple clic primesautier… Et zou !
Reprise des délicieuses hostilités après une pause roborative et désaltérante…
Et ce n’est pas un petit morceau qui nous attend, puisqu’il s’agir de fêter dignement les 10 ans du festival Aubercail ! Pour ce faire, c’est un dispositif scénique aussi agréable qu’astucieux qui se profile, chacun des dix artistes programmés entrant en scène à tour de rôle pour déposer une (fausse) bougie, réchauffement climatique oblige, sur un énorme gâteau trônant dans un coin de la scène, avant d’annoncer le suivant…
Suite à impondérables de dernière minute (en est-il seulement d’autres ?), Clarika, Christian Paccoud et Yvan Dautin ne pourront malheureusement pas se joindre à la fête. Le (légitime) désappointement sera de courte durée, puisque ils seront remplacés au pied levé par les non moins brillants Balthaze, et Pitiot père et fils, de quoi se consoler, donc…
Le principe est donc simple, 10 ans, 10 artistes interprétant chacun un titre personnel et un titre d’un artiste ayant participé au festival, ou auquel le festival a rendu hommage.
A peine sorti de scène, c’est Romain Didier qui revient nous enchanter avec un premier clin d’œil à l’Allain, à peine le temps de finir la bouteille…
Changement radical d’ambiance avec l’irrésistible Wally, venu nous enchanter de quelques chansons-flash dont il a le secret. L’occasion de se demander si les bateaux de luxe ont un parquet flottant, s’il est de bon ton d’appeler « Livret A » un chien qui ne rapporte pas ou de se dire que Claude François aurait adoré le lâcher-prise… Du grand Wally ! Du genre qui sait aussi nous émouvoir en reprenant Sacré géranium de Dick Annegarn, tout en groove et en sensibilité… Petit clin d’œil, conscient ou non, au Géranium d’Anne Sylvestre dont au sujet duquel que je vous causais il y a peu de lurettes…
Au tour du trop méconnu Hervé Akrich, fièrement barbichu, de nous régaler avec son titre Comment ça fait, brûlot incandescent sur les bienfaits de notre belle société cotée en bourse… D’une voix joliment timbrée, entre Vian et Reggiani, il nous offre en reprise le très beau Zoé de Sarclo, autre trésor pas assez connu (« On est passé sur ton vieux chat… »).
L’émotion est sur scène et dans la salle lorsque Michèle Bernard parait, toute harnachée d’accordéon et de fière rébellion, pour un Je t’aime incontournable. Nouvel hommage à Leprest ensuite, avec une fougue de pétroleuse et de rôdeuse de barricade. Des mots qui grondent dans l’ombre, des mots qui vrombissent comme des hélices. Mille frissons fragiles traversent la salle, se frayant un chemin gracile entre les poils dressés sur les avant-bras de tout un chacun…
C’est ensuite à la dream team Pitiot de venir nous enchanter, Thomas le fiston accompagnant Gérard le daron, notamment sur le chouette Je déménage, offert par Thomas à Francesca Solleville (suivez un peu, que diable !). Le même Thomas nous offre de son côté son superbe 1901, hymne fédérateur à l’esprit associatif, rêvant d’un mode meilleur enfin réuni en belle assemblée généreuse… Et de conclure par Ma France, de Ferrat, ensoleillée d’une jolie pincée de maloya chaloupé.
Céline Caussimon vient ensuite nous rassasier de sa fameuse Grande salade, avant de reprendre le savoureux Y’en a marre des pauvres de l’inénarrable Didier Super, un grand moment qui, pour un instant, semble jeter comme un froid chez une partie du public, visiblement cueilli de même..!
Il n’est pas impossible que ce même public ait découvert ce soir-là la présence charismatique de Balthaze, joker-surprise de ce set collectif qui se met directement la salle dans la poche. Quand Balthaze est au banjo (sans Léon à l’accordéon…), c’est un animal blessé qui met ses tripes sur scène, c’est une gueule et une voix à la Neil Young qui viennent nous faire valser une tortue torturée, avant de balancer un Avec le temps à vous crucifier sur place. Je vais encore me mettre les puristes à dos (adressez vos mails d’insultes et de menaces directement à Michel Kemper, merci…), mais force est de constater à nouveau qu’il est des fois ou Ferré, c’est mieux par d’autres que par Ferré…
Les deux frangins de Volo (Olivier et Fredo Volovitch, échappés des Wriggles) viennent courageusement faire leur coming-out à deux voix (J’ai un copain de droite…) avant que de nous offrir ce petit bijou de tendresse qu’est 1982, des non-moins talentueux Joyeux Urbains. Écoutez cette chanson si vous ne la connaissez pas encore, c’est une véritable petite merveille de nostalgie désabusée…
La pétulante Chloé Lacan, boîte à soufflet en sautoir, nous emmène ensuite à La pêche au bonheur, accompagnée aux chœurs par Balthaze et Thomas Pitiot, avant de balancer A toute petite vitesse des Blérots de RAVEL, version basse électrique et ukulélé. Waouh.. !
C’est enfin l’immense JeHaN, colosse aux pieds agiles qui, de sa belle grosse voix, vient passer l’éponge de la pluie sur notre ciel enfin bleu, avant de convier pour nous la présence tutélaire de Bernard Dimey pour J’ai tout vu j’ai tout connu… Un autre grand moment.
Tous ces beaux artistes réunis seront rejoints sur scène par la cohorte des bénévoles d’Aubercail, venus en un salut collectif, marquer ce dixième anniversaire à la hauteur de l’évènement. Ultime pirouette, là ou l’on se serait légitimement attendu à conclure la soirée par J’ai 10 ans de Souchon, la chorale au grand complet nous offre en final Tranche de vie de Béranger et son refrain qui tournera longtemps entre les oreilles : « J’en suis encore à m’demander / après tant et tant d’années / à quoi ça sert de vivre et tout / à quoi ça sert en bref d’être né… ». Écoutez, réécoutez François Béranger, et vous verrez que Renaud n’a rien inventé (puristes rénaldiens, pour les lettres d’insultes, même canal que précédemment, merci !).
Aubercail ? C’est bien, c’est chaud, c’est doux ! Aubercail, 10 ans de bien beaux atours !
Et demain est un autre jour…
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