Aubercail 2016 : un petit supplément d’Anne…
Exit cette année le magnifique Magic Mirrors qui nous avait tant fait voyager les années précédentes… Pour fêter dignement sa dixième édition, le festival Aubercail, le festival des mots dits, toujours mené de maitre par la bande de Thomas Pitiot, investit l’Embarcadère, une grande salle flambant neuve. Les conditions scéniques et acoustiques sont parfaites, la technique y gagnera ce que le pittoresque y perd quelque peu… Accueillis toujours aussi chaleureusement et efficacement par les bénévoles au taquet, nous prenons le temps de découvrir les lieux et de humer un peu l’ambiance, l’occasion comme toujours de croiser et échanger avec les aficionados de la chanson non-crétinisante, venus nombreux pour la belle affiche de ce soir. Ils se reconnaitront, surtout toi. Et toi. Et toi aussi…
Une fois franchi le redoutable obstacle des deux bars successifs (oui, des bars parallèles, en quelque sorte…), nous découvrons l’immense salle pavoisée des affiches et des programmes des dix années passées. Que de beaux souvenirs… Que d’émotion aussi de revoir ceux qui ne sont plus là… On se dit que c’est là et bien là que le spectacle vivant prend tout son sens.
La scène fort agréablement agencée (tapis moelleux, plantes vertes, petites lumières cosy…) est bien vite investie par les Didoudingues, collectif de huit artistes constitué de fraîche date, puisque il s’agit ce soir de leur cinquième prestation de ce beau pestacle septacle speclate concert. Entrant en scène successivement au son perlé de la kora, ils s’installent ensemble sur une sorte de petit praticable en gradins semblant un accueillant radeau au milieu d’un océan de notes qui, peu à peu, nous médusent. Le choix des titres est des plus pertinent, mêlant intimement les ambiances et les ressentis, les couleurs et les émotions.
Ils sont huit (Julie Rousseau, Laurent Berger, Éric Frasiak, Davy Kilembe, Hervé Lapalud, Coline Malice, Gilles Roucaute, Marion Rouxin) et ne cherchez pas l’ordre, il n’est ici qu’alphabétique… Ils sont huit, et vont nous offrir toutes les options vertigineuses d’un grand huit à sensation, ses montées en douceur, ses accélérations, ses pauses, ses loopings et même ses passages la tête en bas… Que le tour de manège va être ébouriffant !
C’est Coline Malice préparant son départ sur une île déserte, au fil d’une délicieuse ritournelle anticonsumériste façon zydeco du bayou (pas François, l’autre…). C’est Davy Kilembe parfait en citoyen du monde, adepte convaincu du fameux métier à métisser cher à maitre Pitiot… C’est Julie Rousseau, je vous en fais la confession, craquante en robe noire et en talons-vertiges échancrés, nous expliquant en créole haïtien que le ciel est le pâturage des anges… C’est Marion Rouxin, (quelle voix, quelle présence…) accompagné d’un tambour-calebasse, slamant presque les mots forts et doux avec lesquels l’humaine boxe en human box… C’est Hervé Lapalud nous expliquant, ludion trublion, que les copains font des chansons comme du bon vin, rendant hommage aussi au nom de tous à celle qui les réunit sur scène ce soir : « Anne Sylvestre, c’est une grande dame qu’on aime beaucoup, c’est un peu notre copine… » Belle passerelle entre générations, il suffit de passer le pont… Clairement, ils sont tous Di-doux-dingues d’elle !
C’est encore Gilles Roucaute, très classe en gilet rouge à la Théophile Gautier, venant nous raconter comment il a voté pour la première fois Front National, se glissant de façon glaçante dans la peau d’un fasciste ordinaire… Ce sont les trois filles venant interpréter, et de quelle façon, le magnifique Juste une femme, d’une certaine Anne S., chronique parfaite d’un certain machisme ordinaire…
Ce sont tour à tour Éric Frasiak et Laurent Berger nous entrouvrant les portes de leurs beaux univers si différents et si complémentaires…
C’est, enfin, Marion Rouxin se faisant la porte-parole de tous pour lire un texte défendant le régime des intermittents du spectacle et pourfendant la loi Travail, avant d’entonner, dressée comme sur une barricade, le brûlot Quand les cigares… de Raoul de Godewarsvelde, écrit en 1967 et toujours terriblement d’actualité…
Il fallait oser Salut les amoureux de Joe Dassin en rappel collectif. Vous ne savez pas quoi.. ? C’était mieux que l’original ! Convenez-en, impossible cependant de terminer là-dessus, et les Didoudingues nous emmènent pour conclure aux Marquises sur les pas du Grand Jacques, pour une version bluffante d’émotion, ponctué à nouveau des notes cristallines de la kora. Corps à corps, corps à cœur…
Un petit entracte plus tard, et elle est là, sur scène, devant nous. Debout. Anne Sylvestre en concert, c’est toujours un grand moment, une somme d’émotions diaprées, de moments de grâce suspendue, de poésie faussement simple et de vrais moments d’irrésistible drôlerie… Et puis la voix. La voix qui est là plus que jamais, se permettant des variations étonnantes dans l’interprétation, venant chercher chacun de nous au plus profond, là ou les défenses tombent et ou le cœur s’effeuille. Installés juste derrière moi dans la salle durant la première partie, les (très) jeunes musiciens du Conservatoire Régional ont beaucoup piaffé d’impatience (allez, c’est pardonné…), mais ça y est, ils sont installés sur scène pour quelques titres, une vingtaine de pupitres de cordes derrière les mots d’Anne Sylvestre, dont la flamboyance de la crinière répond joliment à l’acajou des violons, altos et violoncelles… Et puis, pour que notre bonheur soit parfait, c’est bien Nathalie Miravette (LA Miravette !) qui officie derrière son clavier d’ébène et d’ivoire… La crème des pianistes pour la crème de chanteuses. Chanceux que nous sommes. Chanceux aussi de retrouver ces titres si forts qui font chacun échos à tant de choses en nous… Malentendu, la Reine du créneau, Thérèse… Sur Les gens qui doutent, nous sommes tous un peu ce soir des ratés du cœur qui avons gardé le meilleur… Violette, D’accord, c’est chouette, Aveu… Sur Le lac Saint Sébastien, l’émotion nous étreint, qui rime forcément avec Pauline Julien. L’ensemble à cordes disparait au détour d’un titre, laissant face à face, ou plutôt cote à cote les touches du piano et les cordes vocales pour une fulgurance épurée… Quelle présence, quelle complicité, quelle osmose. On ne le dit peut-être pas assez, lorsque Anne Sylvestre se met à être drôle, elle est totalement irrésistible, avec toujours un fond de belle tendresse. Elle sait fort bien aussi se faire plus mordante, témoin malheureux ce photographe indélicat qui en fera les frais lors d’un aparté assassin durant le bien nommé Tout s’mélange.. !
Écartant, comme elle le dit si joliment, les branches des chansons qui sont des arbres, elle laisse la place pour quelques titres à Mèche, jeune chanteuse dont on la sait plutôt proche. Belle surprise de retrouver celle-ci en scène, seule à la guitare électrique, avec ses chansons sans concession, comme taillées à l’os. Des ballades sensibles qui nous parlent de princesses, de sirènes et de pixels virtuels, peut-être bien de la vie, tout simplement… Une artiste à suivre de près.
Rien qu’une fois faire des vagues, Famille pour famille, Si la pluie te mouille, Les dames de mon quartier, Ça ne se voit pas du tout… Chacun des titres suivants est d’ores et déjà un morceau de bravoure, inoubliable, incontournable, patrimonial, presque. Anne Sylvestre, c’est bal chez intemporel…
Sur le poignant Je cherche un mur pour pleurer, on est émus, émus, on est conquis, conquis… Les calamars à l’harmonica sont une superbe ode féministe au ton surréaliste, tout comme Elle faisait la gueule est un véritable petit bijou d’humour décalé. Petit moment d’énorme émotion personnelle avec Le Géranium, que je me permets de tenir pour un sommet d’écriture, un monument d’épure, de simplicité et de retenue. Voilà, c’est dit…
Avant de conclure avec, entre autre, l’incontournable Lettre ouverte à Élise (« Ma voisine sait jouer que ça… »), nous aurons droit à une délicieuse petite anecdote : hommage dont elle se dit très fière, et on la comprend, une des écoles d’Aubervilliers porte désormais le nom d’école maternelle Anne Sylvestre (votre serviteur certifie avoir vu un soir celle-ci arriver de la cérémonie avec un énorme bouquet et la truelle ayant servi à poser la première pierre.. !). Quoi qu’il en soit, lors de la visite de la dite école, un petit garçon s’approche d’elle et lui dit « Anne Sylvestre ? Tu t’appelles comme mon école.. ? »
Anne Sylvestre, une femme debout, tout simplement.
Puissent les autres artistes du festival Aubercail nous apporter autant. Mais demain est un autre jour…
La truelle aperçue l’an dernier avec l’énorme bouquet a servi à poser la première pierre du futur groupe scolaire Anne Sylvestre de 15 classes à Villeneuve Saint Georges, qui sera inauguré à la rentrée 2016. La maternelle d’Aubervilliers existe depuis plus longtemps (et « Le Lac St Sébastien » ne rime pas avec Pauline Julien mais avec Hélène Pedneault.)
Houlala… quel beau regard incisif ! (hein… Sisyphe ?)
Lequel passe par une plume chargée, à la fois, du poids de l’histoire et de la légèreté d’un humour acéré (mais, surtout pas à serrer !).
Patrick Engel nous entraîne toujours, avec son style si singulier, dans sa vision de reconnaisant malicieux (d’heureux connaissant Mali cieux ?) à ce que la chanson « non crétinisante » lui (et nous) apporte.
Bien ouèj, Monsieur l’enchanteur (et jongleur) de mots !
Mais, là, j’ai juste parlé de la
Et merci.
Pardon, mon précédent message est parti (presque) tout seul.
Je voulais également dire merci à Patrick Engel pour le fond de son excellent papier.
Merci à Franck Halimi pour ce gentil retour, il est vraiment motivant de se sentir lu par des gens avec lesquels ont a plaisir à partager.
Et merci également à « Mutin » pour cet éclairage si pertinent et si courageusement anonyme…
Bien belle analyse de l’univers d’Anne Sylvestre.
Que c’est bon de voir écrit et avec Talent ce que l’on pense que l’on ressent des artistes que l’on aime. Je connais la plupart des Didoudingues mais n’ai pas encore pu voir le spectacle. Quand à Anne Sylvestre vos mots cher Patrick disent mieux que moi. Pour elle, pour nous, merci. Mèche depuis longtemps ne la quitte des yeux ni des oreilles
Merci pour ce beau témoignage d’une soirée que l’on est pas près d’oublier.
Partager la scène avec Anne Sylvestre, et reprendre sa chanson « Juste une femme » en sa présence, c’était ……
Et puis l’écouter, cela donne juste envie …
d’écrire, de partager, en somme de chanter, d’enchanter …
Un grand merci pour cet article dont le style me restitue avec une exactitude déconcertante les émotions éprouvées pendant les différents moments de la soirée !