Narcisse, ajoutez à vos contacts
L’Helvète Narcisse, physique remarquable par sa tête de caractère sous le crâne lisse – genre inquiétant à cause de cette ride horizontale entre les sourcils, générée sans doute par une observation sans compromis de notre monde.
Sa voix grave, profonde, charmeuse, slammée ouvre l’album en nous interrogeant sur nos faux rêves, vide sidéral créé par nos sociétés de consommation. Comme souvent quand c’est bien fait, très vite on ne se souvient plus si l’on a entendu Narcisse parler ou chanter (quand il le fait, on pense à Gainsbourg), d’autant plus qu’il est soutenu par les voix de ses choristes féminines, dont Flavie Crisinel, et celle de Pascal Rinaldi. Le clavier dont il joue, la guitare électrique de Pierre Gilardoni, basse, batterie et contrebasse donnent une ambiance rock-électro avant-gardiste et captivante.
Le thème récurrent de cet album, créé à la suite d’un spectacle cyber-musical allant jusqu’à prendre possession des téléphones des spectateurs, est l’absurdité de notre monde factice et virtuel. Le concept s’étend à l’album portefeuille à trois volets, reproduisant une page de réseau social avec ses photos, ses publicités « à votre service », ses ajouts à la liste d’amis (ils lui servent de générique technique : mixage steve prestage au studio de la marinière, mastering frank arkwright, studio abbey road, londres, production slalom, distribution irascible music, photo, graphisme…le tout sans majuscules dans le texte).
Dix titres donc, tous de Narcisse textes et musiques, listés en pavés illustrés, mentions j’aime 98765. On lui souhaite de vendre autant d’exemplaires de son album, qui comporte des idées absolument géniales, comme ce Quatoze poucent qui vise à supprimer des lettres pour sauver la « panète », à la fois allusion à nos préoccupations écologiques mais pas toujours logiques, et aux successives réformes de notre chère ortôgrafe, « ce qui fait que mon slam de trois minutes ne dure que deux tentequat ». Surtout qu’il nous avoue dans Je disque j’veux de mon disque (lire à haute voix, NDLR) qu’il en a pressé cent mille ! Pour renflouer les caisses du fisc. « Aujourd’hui vendre un disque c’est cauchemardesque. Ma mère m’en a pris trois. »
Car Narcisse ne se fait pas d’illusion sur l’avenir de la chanson « Même la chanson est un concours / on fait même des émissions pour savoir qui cuit le mieux les pâtes » ni sur les motivations qu’on nous donne à être super-compétitifs « Et en amour il faut toujours (…) qu’on assure comme Roco Sifredi. Stop ! Les gars, on s’en fout des premiers ». Narcisse n’aspire qu’à être un homme, il le revendique, et s’il paraît fantasmer sur la femme mécanique dont rêvent beaucoup de ses congénères, qui n’a aucun des défauts des vraies femmes, c’est bien par provocation. D’ailleurs Mesdames, si vous le trouvez cynique, « prenez-vous un mec mécanique. »
Comme tout slameur qui se respecte, Narcisse ne peut échapper à l’exercice virtuose de virelangue, même à l’envers, dédié à ces Cher Serge, Didier ou l’ami Ali, car il a la langue agile. « Ce n’est pas un accessoire / vous pouvez la voir / mais vous ne pouvez pas l’avoir / Et donc vous ne pourrez pas m’avoir »
Entre le grand-guignol d’Étourdi, le cynisme et la tendresse, il nous fait connaître les influences du chanteur qu’il a d’abord été, avec quelques notes et un thème empruntés à Brassens (C’est cool quand les cons s’éliminent aux superbes jeux de sonorités). La solution pour contribuer à l’évolution de l’espèce et ne garder que le J’aime ?
Album concept donc, d’une remarquable homogénéité, qui plus est très agréable à écouter, malgré l’amertume de la satire. Cliquez sur J’aime pour l’artiste, sur Grrr pour notre monde !
Narcisse, Cliquez sur J’aime, Irascible music. Le site de Narcisse, c’est ici.
Bien dit ! Narcisse est un grand, non seulement par la taille mais surtout par le talent. Je ne connais rien de pareil qui soit aussi intelligent, mordant et tendre à la fois. Et puis il maîtrise tout, de l’écriture à la musique, de l’enregistrement au clip et multimédia. Allez voir « femme mécanique » http://youtu.be/AjS_XA72AVc
C’est du jamais vu, en tous cas pas souvent.
Et pis c’est mon copain, mais c’est pas pour ça que je dis du bien. Je peux aussi dire du mal si je veux, mais c’est pas souvent. Ou alors j’ dis rien…
Si c’est un artiste aussi éclairé que Pascal Rinaldi qui le dit… Va falloir que je me procure ce CD sans tarder !
Celui-ci et le précédent Pol. Les yeux fermés.