Le Beaupain frais du jour
Reconnaissons- le : si Alex Beaupain ne figure certes pas dans les rangs trop nombreux des artistes médiatiquement inconnus, c’est moins à son activité de chanteur qu’il doit sa renommée qu’à son travail de compositeur de musiques de films, principalement pour le cinéaste Christophe Honoré (huit longs métrages à leur actif commun, dont les comédies musicales Les chansons d’amour et Les bien-aimés).
C’est pourtant son cinquième CD déjà qui lui vaut le plaisir et l’honneur de rejoindre la galerie illustre des bardes et troubadours chroniqués dans NosEnchanteurs. Disque de la maturité pour ce jeune quadragénaire, Loin est un recueil de 11 chansons, paroles du chanteur, musiques d’une kyrielle de compositeurs, dont du beau monde (outre Beaupain lui-même pour 2 morceaux) : Vincent Delerm, Julien Clerc, Alexandre Varlet, la Grande Sophie… L’homme sait incontestablement bien s’entourer !
Au menu, des chansons pop enlevées (Loin, Couper les virages, Van Gogh…) aux textes cependant tristounets et des chansons pleines de cordes ou de claviers mélancoliques pour habiller des paroles nostalgiques (La montagne, Rue Battant…). Bref, qu’on ne s’y trompe pas : même si la forme – très respectueuse de la structure couplet-refrain – est par moments guillerette, toujours le fond explore les souvenirs d’enfance ou d’adolescence, le deuil, la séparation… Rien de bien joyeux donc, que l’interprétation sans trop d’effets du chanteur ne relève d’aucune saveur épicée. Une belle illustration de la chanson d’Alain Souchon – Laurent Voulzy, Souffrir de se souvenir.
Du beau et bon travail, incontestablement, qui à lui seul suffira à combler de bonheur les auditeurs enclins à un certain spleen teinté de passéisme. On n’en regrettera que davantage que l’ensemble pêche par moments d’un déficit de personnalité ! Loin fait ainsi immanquablement penser à Souchon (on y revient), par l’utilisation du « on » et d’une formule gimmick (On est loin de se douter qu’on en est déjà là / Entamé plus qu’à moitié / Tout ça pour ça), quand certains vers ont carrément l’air d’être sortis de sa plume (On est loin des peaux fruitées / Gel douche à la mangue / Dans quel sens faut-il tourner / Dans ta bouche ma langue), Reste (construite sur une seule rime) pourrait, elle, avoir été écrite par Miossec, L’amour en cage sonne comme du Chamfort, le passage parlé dans Van Gogh (un monologue de Pialat issu de son film A nos amours) rappelle sans forcer le Deauville sans Trintignant de Delerm, avec son extrait d’Un homme et une femme… Rien de bien dramatique, bien sûr, ni rien qui entache réellement le plaisir de l’écoute de ce joli CD, mais assez étonnant de la part d’un artiste plus vraiment débutant que de n’avoir pas un style plus affirmé ! Et ce d’autant plus qu’il est capable du meilleur, comme son très beau Les voilà, qui évoque le deuil de ses deux parents à la fois et de la difficulté de s’en remettre. Sujet grave, abordé sous un angle original, sans pathos aucun mais avec une émotion palpable qui touche au cœur. Une grande et belle chanson assurément.
On se consolera donc en se disant que le levain d’Alex Beaupain est de bonne qualité et que le meilleur reste encore à venir. A suivre…
Alex Beaupain, Loin, Capitol 2016. Le site d’Alex Beaupain, c’est ici. En concert le 12 mai 2016 à Nantes, le 14 au Musée du Louvre de Lens, le 18 à La Cigale à Paris, le 20 au festival Paroles et Musiques à Saint-Etienne, le 21 à Bruxelles.
Le fait que Beaupain utilise l’anaphore, la répétition de rime ou le « On » ne veut pas dire qu’il n’ait pas sa personnalité propre. Les premières sont des figures de style poétique longtemps utilisées avant lui et qui le seront longtemps après. Quant au « On », c’est un usage du siècle que toi, moi , Souchon, Miossec, Chamfort, la journaliste de Elle ou de Télérama utilisons trop peut-être…Et que des chanteurs de générations voisines s’influencent mutuellement et révèlent l’air de leur temps, cela me paraît naturel.
Sa personnalité, c’est bien cette mélancolie profonde liée à une ancienne blessure, cette faculté à décrire les impressions et les sentiments, cette interprétation blanche par laquelle il se protège. Un temps pour crier, un pour pleurer, un pour se révolter, un pour s’étourdir, un pour prendre du recul. Mais pas oublier.
Même coup de cœur pour la chanson « Les voilà » .